Autres textes
Peut-être pas tous mais au moins une partie des textes qui suivent ont été écrits en réponse à des exercices imposés lors d’ateliers d'écriture auxquels Oriane participait tous les samedis après-midi de l'année 2014-2015. Plus bas des bribes, des phrases, trouvées ça et là, moins travaillées mais parfois encore plus personnelles.
Travaux d'écriture
Pierre
Hier. C'était hier. Peut-être avant-hier. Peut-être même que c'était à l'âge de pierre. Non pas à l'âge du Pierre au sens de la lisière historique, à l'âge de Pierre quand il est mort. Pierre est mort à l'âge de raison. C'était mon frère, c’est toujours mon frère. Mon frère est mort hier, à la lisière de ce jour, et sur sa pierre aujourd’hui d’ailleurs, j’ai mis des fleurs. Bref, c'était hier, fin c’est passé. Pourtant j’y pense encore. Pierre et moi, on jouait. Tu te souviens, Pierre, comme on a ri, quand on a perdu les clés, sur le seuil de l’appartement. Y avait que la lumière filtrée des lattes du plancher du dessus. On y voyait rien. On avait laissé les clés à l'intérieur.
Tu te souviens, quand la nuit, avant de s’endormir toi et moi on parlait. On se racontait des bêtises, on tricotait notre imagination, on faisait des plans. Des plans sur la comète, comme deux astronautes. On s’en fichait de la physique, des règles de Newton, Einstein et consort. On se fichait de tout. On bazardait la gravité, l’apesanteur et toutes les règles barbares de l’adromachin. On mettait le foutoir partout chez les scientifiques barbus avec leurs chemises à col fermé. Nous, on avait pas besoin de scopetrucs, de règles, d’alochouettes et tout le tintouin. Ça nous aurait servi à quoi?
Note: Si Oriane se référait à une personne et une expérience vécue, je ne vois pas à qui ou quoi ce souvenir se réfère.
L’obsession de Poséidon
Dans la sombre pénombre qui obombre encore le monstre de ces mers, on entend au fond ** profond ** ondes des eaux obscures, l’obsession du maître, et en ces lieux, Poséidon, dieu absolu de l'abscons abysse des ** prison, des passions conspuant, ses conspirants asservis, absents comploteurs. L’obsession de Poséidon ne connaît pas d’obstacle, obscène, elle se propage passionnément, délire obsidional.
Note: Texte incomplet dont certains mots sont pour moi non déchiffrables. Aussi, je ne sais pas si par "conspirant", elle voulait dire aspirant ou conspirateur.
Le droit de vivre
On m’a donné la vie
Je ne l’ai ni réclamée, ni choisie
mais je l’ai vécue,
ce qui à certains a peut-être déplu…
Un jour, on vola ce que j'étais
alors je remplaçai l'être par l’avoir
Et j’ai eu
Puis on a volé ce que j’avais
alors j’ai remplacé l’avoir par le faire
et j’ai créé
Puis on vola ce que j’avais créé
alors que me reste-t-il désormais
sinon à rendre la vie
que l’on me refuse et m’arroger
le droit de préférer son ennemie?
N’ai je pas merité la vie
que l’on permette de se l’approprier dans son entièreté ainsi?
Sans titre
Ils l’ont sali, tranché, saucissonné, irradié avec leur mitraillette de merde.
Monde d'hilares ironiques, de satyres innocents contre un monde d'ignares sadiques, de crétins vivants. C’est l’histoire de Charlie contre les pillards de terrorisme dans un rallye acharné, ils ont voulu tuer Charlie, éradiquer la liberté d’une clique.
Débiles croque-morts contre habiles croqueurs,
Terroristes indignes contre caricaturistes divins
Décimeur satanique contre dessinateurs sarcastiques
Destruction morbide contre Dérision bridée
Hilares ironiques contre l'ignare
Icônes sacrés contre sacrés connards
Satyres contre tyrans
Note: Le premiers jet de ce qui deviendra Destruction morbide d’une dérision bridée pour dénoncer le massacre de Charlie Hebdo le 7 Janvier 2015.
Destruction morbide d’une dérision bridée (8 Janvier 2015)
… Quand un troupeau de trois pachydermes tira
douze trous dans la peau de Charlie
et qu’ils saignèrent son épiderme….
3 balles, 12 bulles
3 casseurs cons, 12 bons cocasses
3 tyrans, 12 satyres,
3 tireurs, 12 tirades
3 histrions ignares, 12 instruits destriers hilares
3 terroristes inhumains, 12 divins humoristes
3 trous du cul et leurs rancœurs, 12 trous dans les cœurs blancs d’invaincus
3 étroits décimeurs, 12 dessinateurs adroits
3 croque-morts débiles, 12 habiles croqueurs
3 esquisses dessinées, 12 desseins assassinés
Par la terreur, ils ont voulu éradiquer Charlie et la liberté d’écrire,
mais ils n’ont fait qu’irradier les idées de libres penseurs
et pérenniser les revendicateurs d’équités,
ils ont voulus en faire des bannis,
ils en ont fait des bénis
et les bénis ont fait des bagnards et des bandits,
des bannis honnis…
Mais les bénis ont péri…
Alors je vous prie…
Crions contre les 3 lâches apaches qui ont fui
Prions sans relâche pour les 12 sages d’aujourd’hui
Soyons tous les mages unis de ceux-ci !
Gardons-les en image, Gardons leurs images aussi !
Et écrivons en gage, les pages de demain
Que les 3 sacrés connards devant Dieu disparaissent
et que renaissent à nos yeux les 12 icônes sacrées !
Autre
L'astronaute (22 Mars 2014)
Note: Ce texte rapportait de vraies conversations Skype. Parce que la personne en question dans ce texte n'apprecierait pas forcément voir ses mots rendus public, j'ai supprimé des passages symbolisés par des "[...]" Cette relation virtuelle a duré encore quelques mois. Ils se sont rencontrés en Juillet 2014 et puis plus rien jusqu'à l'automne mais l'espoir d'une relation amoureuse alors déchu, ne restait qu'une amitié tendre et inquiète entre ces deux écorchés.
On est le 11 septembre. Les jumelles de béton sont mortes. Décimées. New York est en deuil. L’Empire State Building est orphelin. Il n’y a plus de World Trade Center. Que de la fumée, de la poussière, un épais brouillard. Que des cendres, des centaines de bris, des billions de débris, des billards de bribes de photos, des morceaux de briques, des lambeaux de souvenirs, et puis l’odeur. L’odeur du cramé, l’odeur putride du cadavre et du brulis, du purin et du compost. Et puis, il y a cette place vide, aussi. Une grande place vide béante comme attendant d’être engrossée. Une place faîte pour l’arrivée du petit Jésus en culotte de velours. Un parking géant débarrassé du foutoir d’un mégalomane délirant, en vue de l’atterrissage spectaculaire d’Edouard et de sa soucoupe volante. On est le 11 septembre. Les jumelles de béton sont mortes. New York est en deuil. L’Empire State Building est orphelin. Il n’y a plus de World Trade Center, depuis douze ans. Et dans un mois, c’est mon anniversaire. Edouard est en avance. Prématuré. Précoce. Au loin, on souffle le cor de nos noces d’aurore…
Il s’appelle Edouard aux mains d’argents. Non à vrai dire, je n’en sais rien. Je ne le connais pas et pourtant il me semble que nous nous sommes toujours croisés. A l’orée de nos rêves. A l’issue de nos cauchemars. Sans le savoir, nos épaules se sont toujours effleurés, nos regards ont sans doute vu la même étoile, lu le même article, noté le même mot au même moment, valsé la même musique, battu le même rythme, le même jour assis sur le même banc, nos regards se sont posés sur la même vitre, confondus, nos contours se sont entrelacés, lors d’un croisement de train, sur des rails hasardeux, infiltrant le double vitrage pour s’épouser secrètement.
Je ne le connais pas et je ne sais rien de lui. Je sais juste que sa fiancée trouve son nom ridicule, c’est encore une de ses foutue demoiselle de Rochefort avec ces grandes capelines absurdes de sainte-n’y-touche. Je sais juste aussi que c’est un astronaute qui flirte avec les astres et jongle avec les anneaux de Saturne et Uranus, qu’il en égraine les poussières glacées à l’instar du petit Poucet ou d’un marchand de sable égaré. Je suis Gretel, il est Hansel. Mon frère, nous nous sommes perdus et nous ne retrouvons plus le chemin de la maison!
Je sais aussi qu’il dénude la lune de son étole d’argent pour en recouvrir les dunes ensablées, le soir quand il fait froid. Mon cosmonaute a un flocon vaporeux au coin de la paupière, le cœur en velours et le regard de porcelaine. Et il n’a d’eau que ses larmes et d’oxygène que sa bulle d’air. Des fois, il suffoque, il étouffe, il fait des crises d’asthme et s’endort, épuisé, harassé. Un jour, sans doute, il en mourra mais pour l’heure, il a le cœur en émoi et les veines qui s’enlacent et s’étreignent fougueusement à l’idée de tomber amoureux. C’est un rêveur. Un beau rêveur. Un rêveur barbu avec les cheveux en pétard. Il m’a envoyé sa photo. C’est vrai qu’il est drôlement poilu. Il prétend qu’il a hiberné. Un ours. Un ours polaire avec une bulle d’oxygène, qui porte des bretelles et qui mange de la biscotte (enfin, c’est ce qu’il dit). Et de la Danette à la vanille aussi. Et de la glace aux trois chocolats. Il a un pied à terre à la Rochelle et la tête dans les nuages. Il est élastique, mon astronaute, comme un haricot magique. C’est un carambar. Un carambar avec une blague à l’intérieur. Il est drôle, souvent. Mon étranger, il ne connaît même pas Steve Hurkel, il croit que c’est un boulanger, le sot ! Il n’a pas la télé. Un jour, il a paniqué et il l’a jeté par la fenêtre.
Il dit des choses bizarres, mon astronaute, et quand je suis silencieuse trop longtemps, il me soupçonne de flirter avec un caramel mou, comme si je n’avais que ça à faire, flirter avec un caramel mou, la belle affaire ! Lui aussi, il a un psy. (Pas qu’un, si vous voulez mon avis). La dernière fois, comme ça, sans prélude, sans introduction, à brûle pourpoint, comme un cheveu sur la soupe, (comme un toupet ou une perruque, si vous voulez mon avis), il m’a demandé si je voulais un jardin avec des chèvres. Un jardin avec des chèvres ! Non, mais il est déglingo. Moi, je préfère les vaches à boire, et de loin, ça sent meilleur et c’est plus velouté. Bref, je ne lui ai pas répondu, et là, il s’est gratté la barbe et a remplacé les chèvres, par deux enfants. Toujours silencieuse, il s’est gratté la barbe et a remplacé les enfants par dix-huit paires de chaussettes. J’étais d’accord. Séduite. J’ai accepté les conditions du mariage, (maquiller un thuya, acheter un âne et construire un robot). Il a sorti le contrat. J’ai signé, il a signé. On a signé. D’un commun accord. Dingos, mais raccords! Pour le meilleur et pour le pire, avec pour témoin la lune et ses escortes. Il m’a acheté un âne. Soit disant ! Je n’en ai toujours pas vu la couleur. Je lui ai dit qu’il était intransigeant. Il m’a dit qu’il était intrenzijon. Sur sa planète, les hiéroglyphes s’écrivent différemment. Question pratique. Faut s’habituer. Ça surprend. Au début, du moins. Avant de signer, mon cosmonaute, il a voulu savoir si je dormais en pyjama, et je lui ai dit que je dormais en combinaison de plongée, bien imperméable, bien étanche, comme ça, les pervers, ils détalent comme des lapins et ils posent pas de questions stupides qui m’énervent et qui m’agacent. Mais lui, il n’a pas détalé. Il n’est pas pervers. Il a juste demandé, comment je gérai l’endormissement avec le tuba. J’ai répondu : question pratique. Faut s’habituer. Ça surprend. Au début, du moins. Puis il s’est excusé d’avoir des questions impertinentes. Il a la classe mon cosmonaute. Pis, il a dit qu’il voulait me voir toute nue sur un poney dans un cirque. Ça m’a énervée. Je lui ai dit qu’il n’avait qu’à se les imaginer les trois. Il a dit qu’il ne pouvait s’imaginer que les actants pour parler comme un universitaire, et que donc le poney tournait et que le cirque était bleu. Je lui ai répondu qu’il me faisait rire et il a dit qu’il aimait bien quand il me faisait rire. Il est complètement cinglo, mon cosmonaute. Mais je l’aime bien.
Pourtant, après j’ai disparu. Il avait tout fait ce soir-là pour me séduire, m’attacher à lui, me mettre la corde au cou et la bague au doigt, et la puce à l’oreille, les poils au garde à vous, les papillons dans le ventre et la poule à la chair et pis les vers au nez et tout le tintouin, il a tout fait, le poney, le cirque, la baisse d’impôt et le chabanais indien. Mais je suis restée de marbre. Coriace, après avoir joué les explorateurs, j’ai joué aux vaporisateurs et j’ai disparu. Et lui a bu la tasse. Il a dit que ça allait être dur de lire le père Goriot, qu’il n’obtiendrait rien de moi et qu’il allait se noyer dans son verre d’eau. Alors je me suis demandé, secrètement, que vaut-il mieux : boire la tasse, passer pour une cruche ou se noyer dans son verre ? Et pis, je me suis dit qu’au final, on s’en fiche bien, que ce n’est une question de vaisselle et de vaisselier, que le principal, c’est d’emprunter le récipient adéquat…
Apparition furtive de ma comète, 15 jours plus tard :
[...]
Des jours plus tard, un samedi, l’air de rien, à 20h46 :
- Bisous….
Puis, plus rien. Pas de signal radio. Emission zéro. Le néant. Le vacuum. Le trou noir. L’absence de gravité. Le tourbillon de poussières gazeuses.
Et un demi-bébé plus tard…
[...]
….Puis plus rien. Passage dans un trou noir. Cabossé par une météorite ? ….
Enfin quelques minutes plus tard….
- Z’étiez partie !?
(Mon astronaute, il parle comme Queneau, il a des fleurs bleues sur les quenottes et il fait plein de fautes bizarroïdes…)
[...]
Des fois, nos vaisseaux, ils se croisent à mon astronaute et à moi, et puis les connexions sont toutes décousues après, comme notre combinaison de spationautes. On l’a cousu nous-même, faut dire, avec du fil d’or et nos doigts d’argent. Tous décousus, avec plein de courant d’air et des fermetures qui font zip.
[...]
Dans notre langue à nous, on se dit des vous et des tu, c’est un code, une corde, on joue à la corde, on se rapproche et on s’éloigne, ça fait rire les mouettes, et pis on est élastique, alors c’est normal, on a la tête en l’air, et les pieds sur terre…
[...]
Il y a quatre mois et demi que nous nous sommes rencontrés, l’astronaute et moi. Un demi-bébé. Il aime bien quand je dis ça. J’ai toujours eu peur de la fausse couche, moi. Mais pour l’instant le bébé grandit bien. Il est encore tout laiteux, tout mou, mais il est bien là. Il a le cœur qui bat et le pouce à la bouche et il arbore la risette aux sons harmonieux que font ses parents lorsqu’ils jasent et bourdonnent et roucoulent et chantonnent…
Mon petit prince. Mon soldat de plomb. Mon écorché aux doigts dorés a pris dans sa paume ma petite main froide, il l’a enserrée sans la froisser, chaude et douce dans son joli gant blanc en coton. (Il n’en a qu’un, sur la main gauche, mais qu’est-ce qu’il lui va bien !) Et toutes les nuits, il vient me cueillir sur son tapis volant et nous furetons entre les astres et badinons en sanscrit et en langage codé.
Il y a quatre mois, à ma sortie des enfers, quand Charon a largué les amarres et qu’il m’a laissé partir, c’est là que tout a commencé. Je m’étais inscrite à un site de rencontres, un site qui ne payait pas de mine, certes, mais qui bénéficiait d’une publicité du genre plutôt racoleur, s’il en est. Alors, un peu désabusée, un peu à l’aveuglette, histoire de dire, je me suis jetée à l’eau, j’ai sauté, j’ai fait la bombe, et j’ai tout éclaboussé, un vrai saut de champion dans l’inconnu pour reprendre les rênes de ma vie. Et quand j’ai fait la bombe, y’en a un, un astronaute qui s’est tout pris en pleine frimousse. C’était Y. Il avait les yeux mouillés et l’air tout penaud. C’est donc trempé et tout plein de de boue qu’il m’a écrit pour la première fois. Mais j’ai oublié ce qu’il a dit. Au départ, j’ai cru que c’était un rêve alors j’ai pas prêté attention aux détails. J’ai mis ma mémoire sur pause pour économiser la batterie.
[Echange d'emails]
(Mon astronaute, il est barbu, et en plus, il a un poil dans la main et des fois il trouve que la ponctuation c’est superflu, un artifice, un truc de capitaliste bobo et lui il aime mieux l’écriture toute nue. L’écriture en tenue d’Eve.)
[Echange d'emails]
(Toi et moi, on est en cosmoze, alors ? )
[Echange d'emails]
Pas de réponse. Les jours s’allongent. Mon cœur se resserre.
Message 4 bis : De Lou a Y
Je me suis trompée, fourvoyée, c'est ça? Désolée...Je m'évapore alors, comme la fée Clochette, salut!
[Echange d'emails]
Bon Dieu. J’ai les dents qui claquent. Je suis une froussarde. Une poule mouillée. Je caquète, je caquète, je fais le dindon, je fanfaronne, je taquine la flûte de paon, j’écarte mes plumettes, je fais la belle et tout et tout, mais en vrai, je suis une mauviette à l’oral, une paupiette ramollie, mon caporal, une fiotte! Va falloir qu’il me tire les vers du nez, j’ai un bœuf sur la langue et un gros chat dans la gorge, moi. 23h. L’heure ou l’espace fusionne avec l’humus. L’heure de la rencontre a sonné. Deux Lorialets à l’orée d’Orion.
Je résume. Il est beau comme un dieu, mon astronaute. Il a le plus beau sourire du monde. Et de grands yeux qui cachent tout plein de choses. Il a des cheveux plein la tête qui font des vagues et des rouleaux et des ronds et des boucles qui tourniquotent, on dirait qu’il s’est ornementé la tête à la grecque avec plein de volutes. Il est beau. Il vit dans une tente, avec une lampe de poche et il a dit que j’étais jolie. Et pis après j’ai oublié, les heures ont coulé comme un torrent, et on a dit plein de choses et on était content. Des rêves plein la tête, comme du lait qui boue, des nuages qui enflent, repus. On s’est endormi ensemble, il m’a fait un signe de la main, comme un cosmonaute, au ralenti. C’était beau. On s’est fait des bisous d’air et la machine visuelle s’est éteinte…
Et pis à nouveau plus rien. J’ai eu peur….
Mon petit pierrot lunaire,
Chu pas b’en douée en relations humaines, tu sais, je n’ai pas trouvé de mode d’emploi, pas de notice d’utilisation, j’ai même pas lu les règles du jeu, et pis je ne sais pas faire tout ça, c’est trop compliqué, y’avait trop de lettres et des chiffres et des codes et pas d’espace entre. Alors, j’ai perdu le fil. Je suis déconnectée. Je m’en vais, je vous laisse. Vous trouverez bulle d’oxygène à votre tête de cosmonaute chevelu partout où vous poserez votre soucoupe, C’est sûr, c’est logique. Moi je me retire de la partie, je suis trop impatiente, trop impétueuse, je suis excessive, une vraie tempête, un canon à neige comme vous dîtes, et pleine de trucs sentimentaux dans ma tête en bazar, et vous, vous avez besoin de repos, de calme et de sérénité. C’est physique. Moi, je remonte là-haut, je vous fais une étoile sur chaque cil et je repars dans ma fusée qui fustige de partout pis je disparais comme une poussière glacée à l’aquarelle…
Depuis, on ne se parle plus. J’ai dit à l’astronaute d’aller se faire voir, parce que moi je suis une tempête et lui, c’est un ru, et que quand y’a la tempête, le ru, et ben, il sort de son lit, il va dans la rue, et l’astronaute, enfin le ru, il a rien à faire dans la rue, surtout qu’il est fatigué et qui doit dormir parce que sinon, il va utiliser tout son oxygène. J’ai donc dit au revoir à l’astronaute, parce que les relations spatiales, c’est compliqué avec la gravité et les trous noirs. Des fois, on se fait aspirer et on sait plus où on est et on perd l’orientation, on est désaxé et pis on peut mourir. Alors, je lui ai dit d’aller se faire voir. Voilà ! Fermement, comme une femme. Comme une flamme. Comme une femme enflammée.
... Et il a disparu. D’un coup. Aspiré. Il a soupiré et moi j’ai perdu mon soupirant. D’un coup. C’était fini. Et c’était pire qu’avant. Pire après. J’ai regretté. C’est vrai que je suis un volcan. Une tempête de neige. Il a raison. Un tsunami. Je balaie, je bouscule, je secoue. J’efface aussi. Je fais le bulldozer et j’écrase tout. C’est plus facile. Enfin, sauf que dans l’espace, ça ne marche pas comme ça. A cause de la gravité. On ne peut pas écraser. Question de logique. On flotte, au mieux. Question de physique. C’est anatomique, chimique et tous les trucs en « ique » qui sont compliqués et qui vous embrouillent et vous quintessencient le cerveau, qui vous scient les cheveux en quatre et qui vous mettent les pinceaux en mikado….
Alors, je me suis transformée en esprit flottant, en bulles de savon et pis… Et pis un jour, un soir, il a atterri sur Orion, comme une fleur. Un fleur male, comme il dit. Je ne sais pas si c’était fait exprès. Le vaisseau, dans la galaxie, il ne fait pas toujours ce qu’on veut, ça dépend du vent et de son absence et de la latitude et de la longitude du vacuum alentour, c’est logique. C’est tout un ensemble de facteurs et d’atomes qui s’entrechoquent. C’est physique.
Bref, et pis, un jour, un pigeon qui titubait pas droit m’a remis un télégramme tout froissé dans ma boite. Par hasard. Ou pas. C’est anatomique, chimique, sans doute. Et dessus, c’était écrit en hiéroglyphes :
Ben keske ... Je n'ai pas répondu hier, c'est pour ça ? Ben je sais que vous êtes impétueuse... et que je roule sur une départementale mais ... Je sais pas ce que vous avez dans vot' petite tète moi mais je me plie à tes choix... Je connais de toi qu’une image, qu’un manga ... tu es vivante...Je suis là quand même ... A La Rochelle...
Et pis, j’ai pas répondu. Y’avait pas de papier. Pas d’encre, le liquide dans l’espace, ça flotte, ça se couche pas. Pis pas de pigeon non plus. Le vide. Le vacuum. Je savais pas quoi faire. Alors, j’ai recommencé à errer. J’ai erré dans les airs, égarée, je l’ai enterré, le faux terrien, le cosmonaute. J’ai essayé. Et pis, le pigeon, il est revenu. Il avait les ailes toutes cramoisies et le bec défoncé et il a déposé un autre télégramme sur ma cuisse.
[Email]
Et pis le pigeon m’a regardée avec son œil torve et le bec tout biscornu, et les ailes grisonnantes et pis il a roucoulé, un peu. Un peu fou, le pigeon. Et pis, je lui ai dit de partir. Mais il s’est secoué dans tous les sens, comme s’il se débattait, il n’était pas d’accord le pigeon avec ma décision, il s’est ébouriffé le plumage, il en a mis de partout, une bataille de coussin à lui tout seul, un pugilat oiseau. Pis, il s’est arrêté d’un coup. Brutalement, il m’a regardé à nouveau avec ses yeux tout ronds. Moi aussi, je l’ai regardé, avec mes yeux tout ronds à moi. Et pis, j’ai pris mon courage à deux mains, mes jambes à mon cou, on aurait dit une contorsionniste de cirque, et pis j’ai ramassé deux plumes cramoisies par terre. J’en ai mis une dans les cheveux, et pis j’ai dit au pigeon, mon ami pierrot, prête-moi …et pis vous connaissez la chanson.
Vous dite, vous n’avez pas « le cœur en l'air », ça m'ennuie un peu, alors si tu veux, je vous prête un bout d'aile, une plume ou deux, et pis je dois avoir une hélice aussi, dans le tiroir, on peut peut-être partager, parce que moi non plus, je n’ai pas trop le cœur en l'air... Bon par contre, elle n’est pas en très bon état, faut que je la rafistole, j'en ai pour une petite heure, tu m'attendras ? …
Les gens, ils disent que mon astronaute et moi, on dit des choses bizarres et ils se demandent même si on se comprend lui et moi, si on est pas comme deux wagons qui se croisent. Mais bien sûr qu’on se comprend. On a un code, nous. On a des règles aussi et des images aussi, et des pictogrammes et des onomatopées même. Et des syllabes et des sons qui font du bruit. Mon astronaute et moi, on fait de la musique avec les mots, on les fait même tournoyer des fois, ça va dans tous les sens, y’a pas de chorégraphie, ils valsent tout écervelés, nos mots, des fois, ils jouent au docteur, même ils jouent aux mots des maux, aux mots d’esquimaux escamotés, ils pansent les équimoses, ils pensent beaucoup, nos mots à nous. Et pis, on a mis en place tout un système linguistique pour que les constellations, elles puissent communiquer sans traducteur et sans intermédiaire, comme ça, à nu, tout nu, de face à face, dos à dos, et main dans la main, c’est comme ça qu’on évite les guerres et qu’on tombe amoureux.
Moi, je suis tombée amoureuse. Et ça ne fait pas mal. Et je n’ai même pas envie de me relever, d’ailleurs, parce que si tomber, c’est comme ça, ben vaut mieux rester à terre et manger du goudron et se mettre du sable plein les gencives. C’est beau de tomber amoureux, ça fait des drôles de choses dans le ventre, moi, j’ai toute la faune qui est venue s’y nichée, dis ! le cafard, aussi, mai lui il vient que quand mon astronaute, il se fait la malle, il doit croire qu’y a pas assez de place là-dedans, c’est la jungle. Et pis y’a pas que la faune, en plus, qui est venue camper avec son réchaud et ses raviolis. Y’a tout un paquet d’autres trucs magiques et chimiques qui se passent, des phénomènes météorologiques inconnus, des étoiles partout, et des chandelles et des tornades, et des tourbillons, et des trucs qui se serrent et des trucs qui se dévissent et des trucs qui pleurent aussi…
Mon astronaute et moi, on est les amoureux de Peynet. Assis sur un banc, tout simplement. Avec des fleurs partout. Mon astronaute et moi, on s’aime. On passe toutes les nuits ensemble. Il est la dernière personne à qui je dis bonne nuit, et la première à qui je dis bonjour. Il est privilégié. Je suis sa VIP, c’est ma rockstar. Mon étoile Rock. Mon roc des airs.
J’aimerai lui dire à mon astronaute, tout ça. J’aimerais lui dire plein de choses, en fait. J’aimerais lui dire qu’il me fait du bien, qu’il est comme un médicament, qu’il est comme un Xanax, qu’il a un nom de galaxie, qu’il est magique, qu’il est comme un archet, des fois, et pis comme un cachet d’autres fois, c’est un cheval fou, une licorne avec des mots de poètes qui lui transfument par les oreilles, j’aimerais lui dire qu’il a des jolis cils, que ses yeux sont tout plein de lumière et que quand je le regarde, j’ai l’impression que la nuit s’allume….
Les jours passent… Tous les soirs, l’astronaute et moi, nous nous retrouvons. Nous nous retrouvons même de plus en plus en tôt. Je crois qu’on ne peut plus se passer l’un de l’autre. On se fait des bisous virtuels, on se serre dans les bras très fort et pis on s’endort ensemble, il est ma veilleuse, je suis sa luciole et nos nuits sont toujours plus étoilées.
t'as bien dormi...?
tu vois, il est 8h42 et je pense un peu à vous...
un peu... point trop n'en faut...
j'avais envie de vous dire un truc qui m'est arrivé, fallait que je partage une histoire de feu de camp avec toi, ce matin:
y'a pas longtemps, j'ai rencontré un spationaute de l'espace occidental, je l'ai jamais vu en vrai, qu'en image mouvante, une image un peu floue mais une image belle, tu vois, une image luciole.
et le soir, quand la nuit tombe et que les chats roupillent et que les vieux ronflent, que les papis débranchent leurs sonotones et les mamies enfoncent leur boules quiès, à cette heure sombre et silencieuse de la nuit, mon spationaute et moi, nous nous retrouvons sur une étoile suédoise, et on contemple ensemble, épaules contre épaules, des constellations robotes imbriquées compliquées... Ben vous voez, Y, depuis que j'ai rencontré ce spationaute, j'ai le sourire aux lèvres, même quand personne ne fait de blagues, même quand je suis triste, même quand j'erre ou quand je suis seule... c'est tout douillet dans mon coeur, tout serein, et ca fait du bien. c'est comme la sieste de papi après le café du midi, quand il frotte ses orteils dans ses chaussettes, allongé sur le canapé. Enfin, je pense que c'est pareil. Et pis, du coup, je me dis que je suis une chanceuse, parce que c'est pas tous les jours qu'on rencontre un spationaute dans le noir, quand y'a pas de lampadaire, ni de bougies, et que l'univers est un espace infini et sans gravité, vous voyez, dans l'espace, on peut pas "tomber" sur quelqu'un, parce que y'a pas de gravité, donc c'est parfaitement improbable, mathématiquement, c'est même un non-sens. Tiens, y'a Einstein qui vient de se retourner dans sa tombe. Il dort en chien de fusil. Fin, la roue tourne, comme ils disent les incas, hier j'étais toute cassée, comme une voiture dégingandée et aujourd'hui, je suis presque flambant neuve.... alors, c'est peut-être pas que grâce au charme de mon astronaute nocturne, mais quand même, je peux vous dire, ce type là il est spécial, et plus je lui parle et j'apprend a le connaitre, plus il me plait et plus je découvre des qualités qui me permettent de dire que ce type-là, il devrait pas être caché dans l'espace parce qu'il gagne à être connu, il est vraiment chouette, je vous dirais même....
aller, finis de manger ton chamallow, Y, faut qu'on décampe là, le soleil se lève et il fait trop beau, pis, la route est longue et y'a plein de trucs supers qu'on a pas encore vus!, je commence à enlever les sardines, hein?
Passe une bonne journée, Capt'onaute!!
La Porte (13 Décembre 2014)
La porte s’est refermée et tout s’est arrêté, comme s’il ne s’était rien passé. Comme si de rien n’était. Comme si rien n’avait été. Comme si cet été, je l’avais rêvé. Comme si je n’étais pas née, que j’avais rêvé l’entièreté de ma vie. Comme si rien n’avait jamais commencé.
La porte s’est refermée et pourtant je n’ai rien oublié, je n’oublierai jamais, ce que derrière cette porte, j’avais. La porte s’est refermée, tout s’est arrêté et j’ai tout perdu comme si de rien n’était. Comme si je n’avais jamais été, comme si je n’avais jamais vécu. J’ai tout perdu. Ma vie, mon cœur, mes tripes et mes entrailles… cet été, à l’instant où la porte s’est refermée, j’ai su. Mais j’ai fait comme si je n’avais rien vu. Comme si je n’avais pas vu que la poignée s’était relevée. Comme si je ne savais pas que ce jour-là, tout était terminé.
J’ai descendu les escaliers. J’ai fermé la porte et j’ai descendu les escaliers. Je ne me suis pas retournée. Je n’ai pas fait comme Orphée, pourtant j’ai tout perdu. Je n’ai pas regardé. Ni devant, ni derrière, ni mes pieds, j’ai avancé tête baissée, sans penser à rien, comme si de rien n’était, comme si je n’avais rien risqué, rien perdu, comme si tout allait rester inchangé.
Je suis partie. J’ai fermé la porte de l’immeuble, j’ai regardé à gauche et à droite, mais je n’ai pas regardé. Je n’ai pas regardé pour de vrai. J’ai traversé la rue et l’ébauche d’un instant, j’aurais préféré être renversée en vrai, parce qu’en fait je savais que ce jour-là, j’avais tout perdu quand la porte s’est refermée. Je savais que tout s’était arrêté et que plus jamais je ne pourrais me retourner, plus jamais je ne récupérerai ce que derrière moi, derrière cette porte, j’avais conçu un jour, perdu cette fois…. Ma vie, mon cœur, mes tripes et mes entrailles. Mon âme, mon amour. Si j’avais su ce que je savais, je n’aurais peut-être pas perdu, ce que j’avais : mon vécu, ma maison, mon toit… Toi, mon amour, ma maison…
Note: Orphée avait pour femme Eurydice qui mourut d’une morsure de serpent venimeux. Il descend aux enfers pour récupérer sa femme. Il adoucit Hadès par sa musique et réussit à obtenir la permission de ramener sa femme à la vie a condition de ne la regarder qu’une fois sous les rayons du soleil. Proche de la sortie du sombre passage, il voulut vérifier qu’Eyrdice le suivait toujours et se retourna. Il la perdit pour toujours. Ce petit rappel pour comprendre qu’Oriane parle de ne pas se retourner comme Orphée et de pourtant tout perdre comme lui.
Sur la lisière de la gare, le quai du bout, là d'où partent les trains pour… (13 Déc. 2014)
Je reviens de loin… De là pour où partent les trains, ou de là d’où ils partent. Ou l’inverse. Ca dépend de la perspective. Et du point de fuite également ! La base ! La règle de l’art, mon cher Mozart! Je n’ai pas fui pour autant, je n’ai pas fui, je vous dis, je suis partie, car je n’avais pas de place, nuance ! J’avais une place dans le train, mais pas de place en vrai, c’est différent. Le train, c’est la gare, sa place, son parc, sa caste à lui, pas vrai ? Moi, ma place à moi, c’est dans le train, parce que je n’ai pas de place ailleurs. Ni dans la gare d’ailleurs. Pas de place nulle-part…
Alors, debout dans la gare, sur le quai du bout, je regarde les trains tarder, je n’ai pas de place, juste des crampes aux pattes à force d’attendre. Les jambes flasques, j’attends. A bout de force, j’attends pour partir… Ou, je pars pour revenir, je pars, je reviens quoi… Aller-retour, départ arrivée, arrivé, déjà reparti, va et vient permanent en partance pour nulle part, j’erre en gare, déraciné, pourtant je m’encrasse, parce que je rêvasse vainement, j’espère une place, alors je m’encrasse, sans jamais m’encastrer pourtant, sans jamais m’enraciner…
… je vis dans un sac, ce n’est pas une place, un sac, vous en conviendrez, c’est un bagage. Un ample bandage, si vous voulez, un large pansement pour patienter, pour être sage, un assagissoir, quoi…un bagage qui transporte du vent là, où vont les trains, ou de là pour où ils partent ou l’inverse, d’ailleurs, ça dépend de la perspective, et du point de fuite également, la base ! Du grand art, mon cher Mozart, concédez!
Pour ma part, je n’ai pas de place, ni de bagage non plus, d’ailleurs, je suis un peu à part, un peu ailleurs. Enfin, si j’ai un bagage, mais un bagage avec rien dedans, une bouche béante, un sac rempli de néant, un géant bagage pourtant pas assez grand apparemment, enfin a priori, pour m’y mettre dedans, un bagage avec rien dedans, même pas moi…
Je n’ai pas de place, pas de classe, ni de castre ou de case où me mettre, pas de race, ni de parking, ou de cage, pas d’âge non plus… Mon âge, je l’ai perdu, l’autre jour, je l’ai perdu, égaré quand le train est parti, en gare ou dans le train, j’en sais rien, ça m’est égal, je l’ai perdu, je vous dis !
Ah la gare, ma parenthèse décalée, mon aparté, part d’un monde à l’écart, monde à part pour ceux qui n’en font pas partie, en marge des apparences générant, gérant, engendrant la grande mascarade de ces masques collés, potaches attachés, câblés, harde de garde-fous en rang d’oignons…C’est à la gare que se croisent gardiens et bâtards, normaux et marginaux, dans ce hangar temporaire à l’arrière d’un monde carré, réglé, cadré, cacheté : harengs en amont, saumons en aval….
Moi, en attendant, je suis debout, sur le bout du quai, face à la gare, je regarde la valse des trains qui passent et de ceux qui s’entassent, le mien a du retard, je crois, ou je l’ai raté encore une fois, par mégarde quoi, je suis à la gare sans bagage, un étranger sans badge pour s’identifier, un voyageur errant dans un pays étranger, un étrange voyageur en errance, hasardé par hasard sur les quais d’une gare et je regarde inlassablement les passagers s’attarder sur les tableaux horaires, la plupart diront d’ailleurs que c’est une tare. Une tare de ne pas avoir de gare actuellement. Classe, place, plage horaire, passe-partout, faut faire gaffe, tout est une question de caste, de rang, de rangement. Faut ranger les gens. Gare à celui qui n’en a pas. De gare, je veux dire. Il est maudit, l’égaré lézardant dans les gares, le déplacé galleux qui s’est aventuré parmi les passagers, au cœur des alpages, des pâturages des égarés… Les gens se targuent de la classe dans laquelle on les range, de la place qu’ils ont trouvée sur le parking le soir, moi, je ne me vante pas ! Tu parles ! Je ne me targue pas avec mon pauvre bagage qui balade du vent, je ne me vante pas, je m’évente en revanche, ah oui, ça, je fais l’éventail! L’épouvantail…j’épouvante les garde-fous, je brasse du vent quand je bats de l’aile…
Pourtant, le regard hagard, lasse voire même agacée, j’attends, je continue d’attendre, sagace, je reste aux aguets, sagement, mais toujours perspicace, je reste sur mes gardes, je ne baisse pas la garde, le sang-froid, je garde espoir, je guette le départ, je ne veux pas rater mon train, pas cette fois, je ne veux pas rater mon train en partance pour là d’où je viens, car je reviens de loin…
Le loup
Note: Ceci est un raboutement de morceaux de texte sur le thème du loup. Elle devait y travailler.
Hier, il est revenu. Je l’ai dit à maman. Mais elle me croit pas. Il vient presque toutes les nuits. Papa, je sais pas s’il me croit mais en tout cas, il a installé son lit de camp à côté de mon lit. Je lui ai prêté un duvet. Comme ça, il restera plus longtemps. Canaille.
Ça fait une dizaine de nuits que j’y vais, y a jamais personne. L’autre fois, elle a ramené son père. J’ai bien cru que j’allais y passer. Mais il a rien vu. Faut dire qu’avec ma patte de velours, y a que la môme qui peut m’entendre. Elle, elle capte tout, le moindre frottement de mon coussinet sur sa moquette, et la paupière ronde et aux aguets. Rien ne lui échappe à la petite. C’est peut-être d’autant plus jouissif, du reste. Quand son oeil se ferme, que la méfiance s'évanouit et que la fatigue, ma complice, l’endort, je frotte mon coussinet sur le sol. Son père, il ronfle à qui mieux mieux.
Je vais y retourner. Cette nuit, je vais y retourner. De toutes façons, ses parents ne croient pas à ce que la p’tiote raconte. J’aurai le champ libre.
Hier soir, j’y suis retourné.
On m’a mandé de vous raconter ma journée. Alors écoutez bien.
Silence.
Quoi? A quoi vous attendiez-vous? Un loup qui vit le jour? Faut redescendre là. Vous avez vu ça où? Y a que dans les contes. Un loup, ça reste une bête, un animal avec des besoins primaires. Moi, le jour, je dors les mecs, je me recharge, et oui, je vis dans une tanière, mais enfin, vous vous attendiez à quoi? Ben oui, c’est cliché, mais c’est comme ça. Vous pensiez quoi? Que j’allais faire les courses, repasser le linge debout sur les pattes arrière? Non va falloir penser à arrêter d’humaniser tout ce qui passe sous le nez. Si la société crève sous le poids de la solitude, c’est pas une raison pour pangermanier tout votre univers… Les loups garous, les gars, c’est sûr, ça n’existe pas. Si vous avez décidé de vivre le jour, c’est votre problème. Ne vous étonnez pas si votre vie du reste vous parait bien monotone. Moi, le jour, je dors, et non je ne vais pas vous raconter mes rêves, vous parler de ronflette, ou du dernier cauchemar, vous décrire ma redingotte. Je suis un loup, bon sang, avec des besoins primaires. Je dors, c’est tout. Alors, maintenant, si vous voulez entendre la vie d’un loup, d’un vrai loup, les mecs, va falloir songer sérieusement à éteindre vos lampions.
C’est peut-être une idée saugrenue que de mettre un loup sur ses yeux pour dormir, mais enfin, un ** de bon sens. C’est pas parce qu’on a le poil soyeux qu’il faut nous prendre pour des peluches. On est pas là pour se raconter des histoires. On adoucit vos nuits. De toutes façons, à quoi bon faciliter votre endormissement si c’est pour vous agiter autant, voire plus, que le jour? Je vous ai observé, il ** de compter les moutons (drôle de passe-temps, moi je préfère les manger, c’est comme si vous, vous comptiez vos petits pois avant de les manger), je compte vos positions… et que je tourne à gauche, pis à droite, et que je fais l'étoile pis le fétus. Mais quand je dors, je dors.
Ce que ça doit être chiant de vivre quand on réfléchit, quand on pense le pire, c’est sans doute d’avoir à la fois des bras et une tête. Mieux vaut être manchot ou décapité. Au moins, t’es pas obligé ** le sensitif au moteur.
Et puis comme si les loups de vos ** ne suffisaient pas, il a fallu que vous alliez les dégoter dans la mer, des loups blancs. Vous voyez des loups partout, vous, c’est votre lubie.
C’est encore une vos vieilles idées à la noix, une de vos croyances que celle de parler du solitaire comme d’un loup de mer alors que nous, on vit en meute, jamais tout seul.
Expressions se rapportant au loup qu’Oriane a envisagées:
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l’homme contre le loup
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se jeter dans la gueule du loup
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avoir vu le loup
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les loups ne se mangent pas entre eux
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l’homme est un loup pour l’homme
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loup de mer
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être connu comme le loup blanc
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faire sortir le loup du bois
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hurler avec les loups
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faire rentrer le loup dans la bergerie
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crier au loup
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entre chien et loup
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à pas de loup
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quand on parle du loup, on en voit la queue
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avoir peur du loup
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comme un loup affamé
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Devenu vieux, le loup se fait ermite
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Mener une vie de loup
Loup = maladie, objet, animal, ermite, jeu, mythe.
Si l’homme est un loup pour l’homme, le loup est tout pour l’homme et donc la logique veut, selon le syllogisme, que l’homme soit tout pour l’homme. Eh bien, c’est drôlement vil et égocentrique comme perspective, pis de masquer ce nombrilisme derrière le masque du loup, c’est bien pleutre! En fait, en faisant de nous vos prédateurs, le patronyme de tout ce qui vous entoure, vous faites de nous vos boucs émissaires, on serait coupable de tout en somme, jusqu'à votre amour propre. Ça va loin.
A la lisière… (12 Janvier 2015)
Note: le début et la fin en italique étaient imposés.
Elle avait rassemblé des algues sèches, quelques branches mortes et quelques planches apportées par l’océan. Et le petit feu qu’elle avait allumé, pétillait… Lueur fragile à la lisière des mondes. Elle était sur la grève, adossée à la longue langue de sable, face à l’infini de l’océan. Au –dessus, le ciel étalait sa gamme de roses et de violets, hésitait entre deux tons, passait de l’un à l’autre. Quand le soleil avait disparu derrière l’horizon, il virait au bleu sombre sans plus d’hésitation. Comme s’il avait dit son dernier mot. Comme si le rideau était tombé. Comme si j’avais encré le point final, et que l’encre avait séché, s’était ancré dans les pores du papier. Sauf que cette fois-ci, je n’étais ni l’encre, ni la plume. Ni la voix. Ni la main du script. Rien qu’un vulgaire lecteur, avide certes, mais impuissant, entièrement dépendant de la dictée d’un autre, esclave de la volonté et de la ponctuation arbitraire d’un anonyme, d’un tyran sans visage…
J’aurais pu me pendre à la corde du rideau, crier « ça tourne », ou juste fermer les paupières, cesser la projection et changer de bobine, de pellicule, je n’aurais pas pu réécrire la fin de cette histoire qui ne m’appartint pas. Ou ne m’appartint jamais Jamais je n’aurais pu effacer ce foutu point final ou même relever le lourd rideau de velours qui ce jour-là, s’est échoué sur le plancher, et jamais plus, je ne pourrais éteindre ce petit feu de bois, repousser les vagues, rallumer le soleil, ou nuancer son éclairage, désépaissir la nuit ou l’obombrer davantage.
Cette fois-ci, je n’étais ni régisseur, ni producteur, ni projectionniste, tout au mieux, un vieux rétroprojecteur peut-être, tapissé de poussière et de nostalgie….
Ce jour-là, Alice n’était pas mon actrice ; ma star, mon égérie, assurément, mais pas mon actrice. Elle était juste là, terriblement ancrée dans cette part de réalité révolue, juste là, adossée à la longue langue de sable face à l’infini de l’océan, fondue dans le bleu, mon azur, mon amour, mon élue, ma dissolue…
Je me souviens de chaque couleur, de leur ordre, de leur rang, de leur latitude, du subtil camaïeu leur dictant la cadence, la mouvance des vents, je me souviens de leur valse sourde, des tempéras tempérés, des dégradés estompés, de chaque pigment détrempé du ciel, des divers lavis nuageux et du bleu délavé de mon jean, du trou dans la semelle de ma chaussure gourmandée par l’asphalte, de tout, je vous dis, des quelques grains de sable aussi s’étant frayé un chemin, je n’ai rien oublié, y’en avait trois d’ailleurs, trois affreux grains de sable dans la gauche, trois maudits grains de sable qui m’agaçaient furieusement, trois grains de sable comme les trois algues, les trois branches et les trois planches qu’Alice avait sélectionnées pour sa dinette ésotérique du dimanche, cette étrange cérémonie dont elle seule connaissait les arcanes et à laquelle elle se livrait, pensive, secrète, et pleine d’images, d’imagination, tous les dimanches matin, quand elle passait les week-ends à la maison…Ah mon Alice, toujours tout par trois , hein ? Minutieuse, méthodologique, un peu psychorigide, aussi, peut-être, et pourtant si simple, si pure mon Alice….
J’entends encore le bruissement des vagues indolentes, le roulement sourd des galets sous le drapée de leurs jupons éventés, et la sensation de ce même roulement au creux de ma paume, fricotant avec quelques vieux osselets au fond de la poche, et je la revois, elle, son regard malicieux, ses joues pleines et rosies et sa moue capricieuse, son souffle irrégulier, la tiédeur de celui-ci, …et puis la voute si gracile de ses pieds nus et fripés, j’entends la mélodie qui me trotte encore dans la tête, un refrain maladroit, inexact, approximatif qui bourdonnait. Je me souviens de tout. De tout, mon Alice, du rythme de mon pouls, du battement dans mes tempes, du frétillement frénétique de ma paupière droite, du son de ta voix, de la rondeur de ta pupille inquiète à mesure que je m’approchais de toi, de ton butin mystique, de la fraîcheur de ton cou serpenté par quelques mèches indociles, s’évadant d’un chignon trop rigoureux, je me souviens de tout, Alice, du galbe innocent de ton mollet ensablé, de la courbe de tes orteils frileux, du moindre détail Alice, tu entends ? Du moindre détail et pourtant, je n’ai rien vu, rien pressenti, rien anticipé. C’est comme si j’avais passé le film en boucle sans jamais en cerner l’intrigue, comme si un indice m’échappait toujours, comme si j’avais appuyé sur Rewind avec le zèle et l’ardeur d’un autiste chevronné, de manière presque compulsive, un peu psychorigide, aussi, peut-être, à ton instar, mon Alice …
Ah A, ma lettre, La, ma clé de sol, mon accord, mon sol, mon toit, toi, mon Alice, la si ré mon arpège, ma sonate, mon Alice, je serai ton soupirant, ton soupir m’inspires une sérénade divine, et je te chante, mon Alice, ma mélodie, toi, mon dorémi, mon endormie à moi, mon remède et mon endémie tout à la fois, mon épidémie et mon antidote deux en un, mon lendemain péri, ma mie, mon amour, mon Alice, mon lys royal, mon graal, mon petit calisson sauvage, mon calice, mon gralys, mon Alysée, mon arome, mon amour, mon Elysée, mon élue, ma lumière, ma lueur fragile,
Ma lueur fragile,
ma lueur fragile,
ma lueur si fragile,
ma si fragile lueur,
Oh ton prénom, mon Alice résonne en moi. A l’envers, à l’endroit en travers et les syllabes mon Alice, et virevoltent et volètent et se lovent dans les moindres recoins de mon corps, de ma tête…
li la si,calissa lisalilalalila lilalicéalicalisa, alice je ne m’en lasse pas…
Ce jour-là, mon feu, tu tenais déjà entre tes doigts intrépides, celle qui te déroba à moi, qui t’arracha à mes bras, ni toi ni moi ne le comprirent autrefois, mais à cet instant-là, à cet instant précis, mon Alice, elle flirta avec ta vie, se joua de toi, de tes petits doigts agiles, s’entortillant entre tes délicieuses petites phalanges, ronronnait, se frottant le long de ta peau blanche, mon immaculée, ondulant entre tes cheveux, tissée, tressée par tes soins, nichée dans tes cheveux, comme une couronne mortuaire, l’abominable algue, signature précoce de l’impétueuse…
…. Feue, ma tendre petite fille, je n’ai oublié aucun détail, et pourtant je n’ai rien vu, comme si on avait codé le film, comme s’il avait neigé à l’écran, comme s’ils avaient omis les sous-titres, brouillé les ondes, ou foudroyé l’antenne, je suis sourd, je suis aveugle, mon Alice, mes sens, mon essence, comment n’ai-je pu voir celle qui déjà t’encerclait, t’étreignait, t’étrangla, te tua…
Me tuera…
Ton effluve, mon tolu, son dévolu, ma révolue…
Ta pudeur, mon imprudence, son impatience, son impérialisme …
Ton insouciance, mon ignorance, sa dissidence, sa diligence…
Mon Alice, tu me manques tant…
Ce jour-là, à la lisière des mondes, alors que les lices t’ensevelissaient, mon Alichimère, je t’ai perdue, et mon récit et ton échine sur le récif se sont rompus. Et tu disparus. Et ma vie cessa. Et à tout jamais, mon Alice, sans toi, j’errerai et dans mes rêves, te retrouverai sur la grève, adossée contre la longue langue de sable, face à l’infini de l’océan…
L'escalier (5 Octobre 2014, corrigé 25 Janvier 2015)
Ah infâme, ce bruit d’escalier pourri qui grince !
hilare, qui se tord de rire, et qui ricane, couinant,
là, devant moi, se raillant haut et fort des cavaliers audacieux
qui s’efforcent et peinent à le gravir,
Abruti d’escalier, va, tu te vantes encore de pouvoir
ébruiter les secrets échangés à la dérobée, en tapinois,
sur tes marches ridées, qui grattent et qui râpent,
piètres paliers, maudit escalier, ne vois donc tu pas
qu'en réalité, tu es triste et sans allié, frappé à torts et travers
de pas et de pieds qui t’écrasent et te méprisent,
Tu étales çà et là, tes marches vieillies et souillées, tes planches fissurées, nécrosées
Petit vaniteux, va, Grand Dieu, trop fier pour ravaler ta bave de crapaud poussiéreux,
Espèce de cracheur d’écharde
N’as-tu donc d'autre arme à brandir que tes rampes de branches de bois concassées,
N'as du donc rien d'autre à faire qu'à te dandiner, là,
Colimaçon ridicule, pff…
Tu m’exaspères, à attendre Icare, avec tes airs d’expert,
alors qu’il est mort, mort ton Icare!
Icare n’est pas Dédale, il a cramé ses ailes, ha !
Comme toi, tes marches toutes cramoisies,
il s’est égaré, trop grisé, comme toi, par les hauteurs éthérées,
Vous me faîtes pitié, Icare et toi,
Aller, tais-toi, l’escalier, ne dis plus un mot,
Je te maudis!
Les amants de l'escalier (5 Octobre 2014)
J’entends encore le son de tes escarpins gravir pleins d’espoir les marches mordorées, et pressens la courbe de ton corps onduler dans ce drapé soyeux, et sens l’odeur des moindres pores de ta peau à travers ta cape scellée, respirer, les caresses de tes pieds sur les paliers assoupis de l’escalier oublié, dévoré dores et déjà par les myriades d’années écoulées, tu t’élançais éplorée, éperdue d’amour pour un cavalier égaré, endormi au crépuscule de la vie, à l’orée de la mort, tu t’es jetée à corps perdu au travers de la lucarne qui bordait les rampes de l’escalier, happée par la sérénade doucement murmurée de l’amant évanoui, alors qu’au pied de l’escalier, moi, je t’espérai mon éternelle échappée, alliée d’un soir que j’avais enlacée, effleurée au hasard, un été, à lisière du sol et de l’escalier…
Sans titre 2 (21 Octobre 2014)
Bigre de bougre, j’ai perdu la boule….
Ça m’est tombé dessus. L’autre jour. Comme ça. De but en blanc ! Comme un i sur les points. Comme de l'épinard dans les beurres, oui, exactement, c’est ça, comme un soupe dans la cheveu. De blanc en but. Sans prévenir. Sans pourparlers. Oui, comme ça. Ça m’en a retourné les jambes à mon cou. Alors que… d'habitude, je suis plutôt quelqu’un qui a la tête sous les épaules… Vous me direz… en même temps, morphologiquement, l’O n’empêche pas l’untre et vis et clou. Bref, il n'en est pas pas moins que j’en étais toute remoulue. Tournechammoulue. Complètement verboulée. Les pinceaux tout embullés, tous brembouillés. Un vrai lomomilelo dans ma cabuche. Mais, ça… je le savais, hein… Depuis le début, je me disais, mmmh, ça sent l’anguille dans la botte de foin… mais personne n’a voulu me croire… faut dire aussi que j’étais toute seule… Enfin… toute seule avec tous les autres dans ma capoche, et pis le funambule, aussi, mais le funambule, il est muet, alors il pipait mot, le namfumimbule… en plus je l’avais pas encore vraiment vraiment vu....
Et pis… là, j’ai ouvert les yeux… Pis, les paupières ensuite, pis…
Bim bam badaboum !
D’un coup, plus que de la buée dans le globaire ocule. Et de la brume plein les orbites annulaires.
C’était, en promenade, je me souviens, l’automne dernier, je me baladais à l’envers, verso-recto, vous-voyez, j’errais sur la paume plantaire, les doigts de pieds en épouvantail, les jambes en l’air, les orteils manuels, en éventail, dans l’humus, bayant aux racines, la tête un peu dans les nuages et les pieds pas vraiment sur terre. Et pis trop têtue, trop obstruée, à trop vouloir cherché une aiguille dans une grotte sous roche, j’ai trébuché, trébuché sur une buche en bois. Je suis tombée dans une embûche. Embuscade amoureuse, tombée d’un funambule au-dessus de moi, qui effleurait les cimes des arbres de son agile fleuron. Je l’ai vu, j’ai trébuché et j’ai perdu l’équilibre.
Depuis, je suis amoureuse. Pas juste amourachée, pas juste éprise d’un amour badin, hein. Je suis bel et bien amoureuse. Amoureuse enamourée, vous voyez. Amoureuse boulimique d’amour. Comme une épousée qui s’époumone à mouliner son amour en calembours.
Amoureuse obnubilée même. D’un funambule démuni. Démuni et muet, tout dégingandé, oui mais un funambule quand même. Mon funambule à moi, ma nouvelle lubie !
C’était l’autre lune, je me souviens. Il déambulait dans la brume, tout frêle et vaporeux, sur son fil d’ambre, avec sa drôle de bobine. On aurait dit une belle libellule barbue. Il était sublime, subtile avec ses ailes invisibles et ses binocles biscornues. Ondulant entre les lumières embaumées du firmament, il avait bel allure le nymphobule qui faisait des lunes avec ses pieds lustrucrus...
Oh! Je l’admire tellement, le funambule bulletin tintinmarre marabout, avec son bout de ficelle et sa selle de cheval, quand avec les nuages, il joue aux billes !
Pour lui, la nuit, bercée des arômes et des alizées, je me mets toute nue, je mets à nu, et fabule des fugues amoroso, en imaginant que son balançoire s’allume aux douces nasales de ma voix enrhumée, oh non, ne vous méprenez pas, mon rhume ne l’embête pas, non seulement il est muet, mon funambule, il est aussi embué, il n’entend pas, il est bouché… Il est muet, bouché mais n’en demeure pas moins musicien, ses semelles murmurent, c’est un violoniste d’embrun, vibrant un balançoire tel un archet sur le fil…
Quoi qu’il en soit, mon funambule et moi, on est des hurluberlus perdus à l’orée d’une forêt. Des lucioles éperdues, même. Pas des espèces de bidules libidineux tout lubriques et vicieux, non, on est des amoureux qui s’inondent des ondées lumineuses et des ombres arlequines, capables de s’éberluer à la vue des nébuleuses …
Le seul problème, c’est que l’éphèbe ne peut pas vivre sans son fil, ses balades nocturnes sont éphémères, à l’aube il s’enfuit l’éphéméride de l’ombre qui tisse dans la lumière du crépuscule son fil d’ambre. Il ne descend jamais, à force, ça me rend dubitative. Je me mets alors à ruminer, comme une mule toute butée, je me mets à ruminer et je boude et m’embrume. Je suis toute embistrouillée, voilà ! C’est bien joué ! C’est bidon, je suis pas le nombril du monde, si le funambule, il préfère butiner son fil, là-haut dans les combes, j’peux pas l’en empêcher, faut que pas que je m’obstine….
Pis …. au final, faut être lucide, y’a que deux options, soit je m’embourbe dans la boue que l’hurluberlu trébuche enfin, usée par les rhumatismes qui amenuisent et finiront d’élimer mon système d’immunisation, soit, ben… soit, ben je prends l’omnibus, hein. Je ne vais quand même pas continuer à me buriner la binette avec pareil embobineur, baladin de pacotille…
Note: Je dirais bien que c’est en pensant à Yann qu’Oriane a écrit ce texte, Ça leur ressemble ce méli-mélo de mots inventés comme par un tour de magie, comme le lapin sortant du chapeau. Et puis, elle avait bien l’air amoureux de cet huluberlu qu’elle décrivait plus souvent comme un cosmonaute que comme un funambule, mais tout de même, je pense bien. Et puis, elle se plaignait qu’il soit craintif, qu’il ne partage pas vraiment ses sentiments. Elle s’impatientait et l’a envoyé bouler plus d’une fois, ne supportant cette forme de rejet qui pourtant venait d’un garçon presqu’aussi cassé et perdu qu’elle.
Sans titre 3
Mine de rien. Mie de rien. Quel humour. Bon, faut pas que ça traîne, c’est que j’ai du pain sur la planche. En plus, il est super cuit, y a plein de vieilles croûtes. D’ailleurs, y a même pas de mie. Va savoir pourquoi on appelle ça du pain. Enfin, c’est bon quand même et une fois que je te l’aurai étêtée la donzelle, on s’en fera un petit festin. Bon aller, au boulot… déjà faut un plan… mais un plan rapide et efficace et pas cher… alors 1) je la tue, 2) je m’en vais, 3) je casse la croûte. Bon, c’est tout prêt, rapide. Efficace et pas cher. C’est ce que je disais. Après, c’est comme au Cluedo. Le chandelier, j’en ai pas. Un truc pratique, c’est l'épée. Diantre, j’en ai pas. Ça se fait plus. C’est démodé. J’ai bien un couteau suisse. Enfin, il est pas suisse, il est grec. Ah je l’ai, c’est pas le Cluedo.. C’est tout simple. Le Bouclier. La petite narcissique… je n’ai qu’à lui tendre le bouclier, elle va forcement vouloir se rincer l’oeil. Son oeil qui tue… Ah! Elle a les yeux revolver… Ben en voilà, un plan rapide, efficace, et propre, et pas cher, en plus...
Lipogramme en A (5 Décembre 2014)
Révolte
Note: Le but est ne pas utiliser la lettre A.
Il est des douleurs qui ni ne se voient, ni ne s’entendent, qui ni ne s’énoncent, ni ne s’épellent, des douleurs que l’on ne peut soupçonner, ni même concevoir.
On les dit souvent invisibles.
Elles investissent votre corps, pernicieusement, elles longent les étroites veines de vos membres engourdis, secrètement, sinueusement, elles circulent sur les routes de vos muscles endoloris.
Tels des serpents, elles ondulent et, entre vos doigts s’étirent et s’enroulent les sournoises criminelles, sur vos os, grimpent le long de votre échine légèrement courbée pour enfin rejoindre votre cou encore indemne, votre nuque si frêle puis doucement, elles l’enserrent et l’étreignent…Votre souffle dès lors, s’essouffle, s’estompe, s’endort, puis cesse.
Vos yeux se ferment.
Il est des douleurs qui ni ne se voient, ni ne se s’entendent, qui ni ne s’énoncent, ni ne s’épellent, des douleurs plus fortes que la vue, plus forte que l’ouïe, sibyllines certes, toutefois bien réelles.
C’est pourquoi, en ce jour, je vous somme, moi,
de les crier,
de les hurler,
si fort, que vos cordes s’éliment,
dénoncez celles qui vous lient.
...Il est temps qu’elles soient reconnues, nommées et dites !
Libérez-vous-en !
Lipogramme en E (5 Décembre 2014)
Sabot d'or
Note: Le but est ne pas utiliser la lettre E.
Hors-la-Loi, « sans abri » dirait-on, ni nourri, ni blanchi, j’ai pourtant un nid. Habitant d’un no ’mans’ land aux noirs confins d’antan, sans ami, ni maison, j’ai bâti un toit aux tons brunis, sous l’onction d’Orion…
Au fin fond d’un bois charnu, mon if, mon joli nid, mon divin logis. Au loin, m’inondant d’infini, l’horizon aux cotons d’azur : mon corps alors s’assoupit au soir, la paix ayant rafraichi mon sang bouillonnant, l’ayant vaincu dans un combat d’airain. Voilà pourquoi jamais, un toit plus fourni, plus cossu m’apparût plus parfait…
Il n’y a, ici, ni port, ni parking, m’autorisant à voir la fin d’un lourd anonymat acquis à mon insu, par hasard, un jour, trois nuits, vingt-huit saisons auparavant… pourtant, sans nom, ni sou, ignorant encore mon moi profond, tout nu, hormis l’habit d’if dont Natura m’a fait part Natura, parfois, j’ai la conviction d’avoir un sabot d’or…
Sans titre 4
Il est des heures où tout le monde dort, des heures où tout semble mort, des heures où le silence est d’or et où les torpeurs dores et les peurs érodées s’envolent sous le souffle d’Éole,
Éros et Morphée se lovent alors l’un contre l’autre, vautres contre le corps de leur amie la Lune encore doucement éclairée d’une lumière vaporeuse des nébuleuses alentours...
A cette heure secrète, le lorialet, discrètement, revêt sa capuche et se pare de son baluchon, et sans trébucher, le garçonnet enjambe un nuage de coton auquel il accroche une nuée de ballons de baudruche, l’haleine d’Éole se confond dès lors à la larme des nuages et le lorialet se faufile et ondule à travers les sphères des confins étoilés, avec la souplesse d’un chevalier des airs…
Rêvant, s'éloignant d'éther, aérien, perle d'éther…
Sans titre 5
N’embrassez pas qui vous voulez, si vous tenez à la vie.
La poussière dépose, se colle à vous. Elle avale vos pas, aspire vos souffles, ternit vos larmes, salit vos ongles. La poussière décide de vous.
Le grand balai, brasseur de ** lui fait danser le reggaeton d’un pas vif et soumis. Je ne suivrai pas les mouvements du balai. Roule au fond de moi, je tends pas ma respiration. Je feins ma vie. Ils savent. Je sais. Quand ils rodent, quand ils se répandent autour de moi, qu’attendent-il? Que je me livre?
Mon dernier jour dure depuis des années. Vivre est suspect. Alors embrassez, alors aimez. A la gueule de l’ours aux dents voraces. Riez parce que “Tout pour lui” n’est rien pour vous. Janvier 2013.
Souvenirs (24 Décembre 2014)
C’était un soir, je me souviens. J’avais douze ans, peut-être que dix, en fait. De toutes façons, y’a que moi qui peut le dire, c’est moi le narrateur omniscient, donc on s’en fiche, vous, vous me croyez sur parole , c’est le pari que vous faîtes, l’engagement que vous prenez en commençant la lecture d’un texte inconnu, que ce soit de la fiction ou non, vous prenez tout pour argent comptant, sinon ce n’est pas du jeu….c’est un peu comme un pacte entre vous et moi, on va dire…
Bref, c’était un soir, j’avais douze ans. Dehors, il faisait nuit. Je me souviens, c’était en hiver, la neige tombait derrière les vitres embuées. Il n’y avait pas un chat, enfin, des chats peut-être, puisque j’avais vu une souris derrière la fenêtre. Je me souviens, je me suis même demandé ce qu’elle farfouinait…Par des temps pareils, la pauvre, quand même !... J’ignore ce qu’elle espérait trouver d’autant plus que chez papa, on ne mangeait pas de fromage. Papa, lui, il préférait un bon poulet. A la maison, ça sentait toujours le poulet grillé. Oh, ça ne sentait pas mauvais, hein, j’aimais bien ce nuage qui flottait dans l’air quand il ouvrait le four, le dimanche midi, et qui nous enserrait tous, nos vêtements avaient tous la même odeur… Comme une famille… Papa, il oubliait souvent le temps de cuisson, pis l’heure aussi… Pis les impératifs…. Il était un peu étourdi papa, mais moi, ça me faisait rire, pis je préférai un bon poulet cramé que l’odeur froide de ces mégots d’inquiétude sur le rebord intérieur de la fenêtre…. Pis les steaks hachés, il les oubliait pas ceux-là, ah non, avec du bon beurre et du pain frais… Mon papa, c’était un bon vivant étourdi qu’aimait pas les papiers, les factures, les impôts, les rendez-vous, les trucs de la vie d’adulte… Il aimait mieux nous raconter des histoires, nous emmener dans le ciel…. Papa, il disait qu’il était dessinateur industriel, ou étudiant, ou veilleur de nuit, ou chômeur aussi des fois, mais moi je savais qu’il racontait des bobards…. Papa, en vrai, il était astronaute secret…. Il connaissait toutes les étoiles, même celles qu’on dit qu’elles n’existent pas
1. La gare (28 Octobre 2014)
La gare c’est une place pour se garer. Moi je n’ai pas de place. Ma place est dans le train. Le train a une place. C’est la gare. Mais la gare c’est la place du train, pas la mienne. Moi, je vis dans le train. Dans une valise. Je n’ai pas de gare, pas de place, pas de parking, pas de maison, pas de niche, pas de chenil, de nid, ou de panier, je vis sur le seuil, à l’orée, entre deux mondes, entre deux vies, je n’ai pas de foyer, je n’ai qu’une valise, une valise vide, une valise trouée, une valise usée, des roues à moitié fondues dans l’ardeur des déplacements.
Dans le train, je suis chez moi, je m’assois n’importe où, je suis n’importe qui, je suis anonyme, je n’ai pas de nom, pas de siège attitré, je n’ai pas de siège, je peux m’assoir n’importe où, demain je pourrais plus, la conjecture aura changé, les constellations seront différentes ; l’axe de la terre se sera modifié, les planètes ne seront plus observables de la même façon, du même flanc
2.
Ils m’ont violée. Ils ont volé ma maison. Ils sont entrés par effraction.
Ils m’ont pillé, ils ont souillé mes entrailles. Ils ont exigé que je m’en aille.
Certains disent que je fabule.
3.
Je ne suis pas légitime.
4.
Ils veulent me mettre DEHORS.
5.
A l'époque j’avais 10 ans, peut-être 12, peu importe. En tout cas, j'étais déjà amoureuse transie du bel Alex, le seul vrai mec capable de dompter Black, le sauvage étalon et ce malgré son air niais et candide. Quand j’y repense, c’est vrai qu’il avait l’air niais avec son regard de cochon, ses joues à la Droopy et Dripple et ses dents de lapin. Le mec, c'était genre Noé à lui tout seul, il avait le zoo réuni sur son visage, mais bref, ce n’est pas le sujet. Je l’aimais à la folie, et à cette époque, je me souviens, c’est aux arbres que j’avais pour habitude de confier mes amours interdits et mes incartades intrépides. C’est sans doute ce que j'étais en train de faire quand ce jour-là, j'étais à la fenêtre de la petite chambre que mon père, mes soeurs, et moi nous occupions chichement le week-end… Mon père en effet prétendait qu’il avait recommencé les études de médecine et que pour financer cette partie de vie, il était veilleur de nuit… Moi je m’en fichais un peu de ce qu’il pouvait bien faire, c'était ** pour moi, il avait beau trouvé les métiers les plus incroyables, prétendre qu’il fait inventeur de lasers, veilleur de nuit, chômeur ou dessinateur, moi, je savais que c'étaient des bobards, parce que mon père en vrai, c'était un savant fou, pas fou à lier, vous voyez, non fou du genre qu’on admire, fou du genre qui sait tout sur tout, qui est ** aux plus gros mystères de la vie, fou du genre de ceux dont les cheveux ne connaissent pas la gravité et dont le XX
Note: Le texte s'arrête malheureusement. Nous ne saurons pas ce qu’il arriva ce jour-là à la fenêtre de cette petite chambre de la maison du curé de Francheville-le-bas. Mais Papa était en effet une espèce de savant fou qui connaissait la psychologie, qui avait des rêves de voyage en Norvège et au Canada, l'idée de breveter une brosse à dents qui quand on appuierait sur le bout du manche, du dentifrice sortirait du côté de la brosse...
6.
Ce soir, un soir de Juillet 2014, je suis dans mon lit et je voudrais deux choses: savoir dessiner un astronaute, et savoir dessiner une marmite aussi. En fait, je voudrais savoir dessiner. Demain, je vais à la bibliothèque et je vais dessiner les gens. Je vais les croquer, les croquer à mort. Je serai un croque-vivants.
7.
T’entendre et mon coeur chancelle, chance de celle qui s'écoeure au son de ta voix…
Qu’est-ce que dit le vent? J’ai la gorge brisée, le souffle rompu… A trop chanter le mi, mon instrument s’est égosillé…
Allons faire toi et moi un tour de manège et allons un coup avec la pluie. Elle a soif, soif d’oubli.
8.
Je suis un instrument désaccordé.
C‘est un feu de paille,un ardent brasier, un incendie. Au feu!
Jeu de dés. Jeu de poker…
Heureux aux jeux…
Embarcation précaire…
9.
J’ai des fourmis dans les jambes, des papillons dans le ventre, j’ai un chat dans la gorge, j’ai des vers dans le nez, tirez-les moi, tirez les mots, J’ai le cafard du coeur de mon coeur, j’ai des grillons dans les oreilles, j’ai un boeuf sur la langue.
10.
Je suis le sang qui perle sur l'épée, je suis Ulysse et le chant des sirènes, la toison d’or et le voleur Jason, je suis l’amour que l’on jette aux murènes, je suis la nuit égorgée en prison. Les arbres noirs dansent sur mes paupières.
11.
Je ne connais l’astronaute qu’en format 2D, en être inanimé. Image floue, dissipée sous mes cils fragiles.
Journal d'un combat (Juin-Septembre 2014)
1er jour
11.06.2014
Aujourd’hui, Mercredi 11 Juin 2014, c’est le deuxième jour de ma guérison, un jour à marquer d’une pierre blanche. Depuis novembre 2012, je suis malade et hier, j’ai décidé qu’il était temps de prendre ma revanche. Je suis anorexique boulimique et depuis deux jours, j’ai résisté aux pulsions dévastatrices qui me déchirent et me détruisent depuis des mois. Je me donne dix jours. Pendant dix jours, je dois être capable d’aller dans des supermarchés munie d’un porte-monnaie sans succomber aux nombreuses envies qui me font face. Il est évident que celles-ci sont beaucoup plus irrésistibles en situation d’angoisses terrassantes mêlées à la faim. Le Pari est compliqué et risqué. Il va me falloir identifier mes craintes et distinguer les besoins de mon corps sans jamais me laisser dévaster par l’ennemie principale à savoir la frustration. Ce cahier sera mon dépotoir, le lieu de purge, le pilier, l’armure de ce combat qui s’avère périlleux. Ces lignes encore vierges se noirciront d’un bilan que je m’efforcerai de faire quotidiennement pour me défaire des miasmes morbides qui me souillent encore à ce jour. Actuellement, je n’ai pas encore trouvé de moyens physiques de remédier à mes angoisses, ni à l’expression d’une colère d’une extrême violence qui bouillonne en moi. J’essaierai donc de la mettre en mots sur ces pages blanches, afin de m’en défaire. Par ailleurs, ce cahier fera office d’un répertoire d'émotions. Tous les jours, je tiendrai compte de mes humeurs, des nouveaux plaisirs que je découvre, des nouvelles sensations qui éclosent en moi, de l’impact de l'extérieur sur mon corps.
La fin d'après-midi s’est bien déroulée. J’ai apprécié certains bons moments, la chaleur, le vent, les bribes de conversations, la promenade, le sourire des gens, la lecture d’un article, le rythme du bus, le fait d'être dans le présent, de vivre, de sentir mon coeur battre, de respirer…
Le soir, les choses ont été plus difficiles. Je devais préparer le repas, gérer les portions, gérer le sentiment de faim et de frustration, tout comme celui du plaisir. J’ai mangé plus que prévu, mais j’ai évité la crise. Je n’ai pas pris de yaourt et je me suis contentée de trois abricots et d’une chouquette. Mon pêché mignon reste le pain (3 bouts) et la sauce. Ensuite, j’ai géré et j’ai oublié. Puis pour me féliciter et encourager ma bonne lancée, je m'étais dit que je m’accorderai des crans de chocolat. Jusqu'à ce que je les mange, tout s’est très bien passé, pas d’envies de crise. Mais après l’envie fut à nouveau extrêmement forte. Pourtant, je sais que ce n’est qu’une envie et non un besoin, que ça ne me rendra pas heureuse, pire que je serai déçue par moi-même… L’envie était de plus en plus forte et ma tristesse s’en nourrit, car je savais que si Papi et Mamie n’avaient pas été là, j’aurais succombé. Cette faiblesse encore si présente m'achève… Pourquoi ne trouvé-je donc aucun autre recours pour m’apaiser et taire ces effroyables peurs noires qui me possèdent presque entièrement…
Aujourd’hui, j’ai ressenti les prémisses d’une crise qui se mêlait dangereusement au sentiment de faim. Je sens qu’il va falloir être encore extrêmement vigilant pour ne pas succomber dans l’ardeur de l’angoisse. Mais j’ai résisté. C'était dur. J’avais l’impression d'être plusieurs voix. C’est un réel combat et la raison a du mal à se faire entendre… J’ai encore des difficultés à comprendre d'où vient cette angoisse terrassante, invisible et foudroyante… Mais encore une fois, j’ai résisté et quand enfin le monstre s’est accroupi, j’ai pu baisser la garde et dès lors, un sentiment d’une extrême fierté m’envahit, fière et le coeur légerr, l’orage était passé. Pourtant cet effroyable moment me reste en mémoire et je crains de devoir le revivre avant l’aube et ne pas savoir le gérer…
Par ailleurs, des sensations positives me font face, la douceur du vent sur ma peau, l’odeur sucrée de celle-ci, la lumière estivale qui me rappelle la candeur du vacancier, l’envie de vivre, de découvrir, d’apprendre, de m’enrichir, d’rester, d'être à nouveau dans le réel, dans le présent, avec et non pas à côté…
Notes: (1) En Juin, Oriane vivait chez Papi et Mamie. (2) Je ne sais pas pourquoi elle a noté Novembre alors qu’elle a pris conscience de sa maladie et a accepté l’hospitalisation en Juillet 2012. (3) Ce que j’aime dans ce passage, c’est qu’Oriane décrit les angoisses comme des démons qui finissent vaincus et rabougris quand elle les affronte, et le coeur fier et léger de l’après-lutte. C’est exactement de cette manière et avec ces mots que Marcia Powers décrit le combat contre la dépression, la colère, le ressentiment dans Le Tueur de Dragons au Coeur Lourd.
3ème jour
12.06.2014
Aujourd’hui, troisième jour de résistance. Troisième jour sans achat compulsif, troisième jour sans crise. Je ne vous cache pas que je suis sous tension. L’impression d'être sur une bombe à retardement. L’impression que je ne tiendrai pas. La crainte d'être trop fragile…
Pourtant je n’ai pas faim,. Je n’ai pas d’envies de gourmandises, pas de crainte particulière de me rendre à la boulangerie pour y acheter le pain et de succomber. A vrai dire, je suis bien. Presque détendue. Mais le souvenir de l'intensité avec laquelle l’envie me devasta hier n'empoissonne. J'appréhende son retour… Combien de temps vais-je tenir? La fierté de la résistance suffira-t-elle? Le fait de combattre la maladie de façon active et consciente redonne à l'état d’angoisse toute sa vigueur passée. Et je crois que si je veux réellement m’en débarrasser, il faut que je puisse exprimer dans les plus brefs délais toute la colère que j’ai emmagasinée. Aujourd’hui, je vais nager. Cela suffira-t-il? Il faut que je raconte tout, que je dise la honte et la culpabilité qui contiennent ma colère encore comme un fauve en cage.
Je dis que j’ai été violée, mais étant donné mon comportement passif, je ne parviens pas à considérer l'évènement en ces termes. J’ai l’impression de dire un énorme mensonge. Mon violeur du reste, ne considère certainement pas la chose comme telle.
8ème jour
18.06.2014
Ça fait quelques jours que je n’ai pas pris la peine d'écrire. Aujourd’hui, j’ai manqué mon rendez-vous psy et du coup la tristesse accumulée pendant ces derniers jours me submerge. Je suis si triste et si fière à la fois. Ce que je croyais foncièrement impossible, parfaitement improbable est arrivé et je retrouve espoir: Je ne suis plus boulimique. Mes seules envies sont des envies de gourmandises. Hier, cependant, je suis allée chez le coiffeur et pendant près de 3 heures, j’ai été confrontée au reflet de mon visage dans le miroir. Je ne m’aime pas. Je suis actuellement bien trop maigre pour me considérer comme jolie.
En septembre 2012, je suis tombée amoureuse d’un homme qui m’a souillée. Ce n'étais pas un viol au sens officiel, car à trois reprises, je suis revenue de mon plein gré dans l’espoir de retrouver le respect de moi-même, celui qu’un après-midi, il m’avait volé et qu’aujourd’hui je cherche désespérément. Je ne peux plus être dans la séduction.
Je sais désormais quelle est cette colère que je tourne contre moi. Je sais pourquoi je me maltraite. Ma vie est le récit à répétition d’une violation masculine du respect corporel d’autrui. Je ne connais à ce jour que deux hommes qui ont respecté mon corps. Trois hommes en fait. Mes deux grands-pères et Ricou. Tous les autres ont méprisé, bafoué mon corps, l’ont objectivé. Je me sens souillée, salie. Je hais l’homme, je suis en colère contre celui qui me refuse le droit de propriété. C’est l’histoire d'une soumission à répétition. Soumission docile, muette, sage. Il ne faut pas se rebeller Oriane. Il ne faut rien dire Oriane. Il faut être sage. Je suis en colère. Je vous hais tous. Vous vous êtes appropriés le droit de regard sur mon corps, vous avez bafoué mes droits, vous avez fait ce que vous vouliez de moi, disposant à votre guise de ce corps frêle qui ne vous appartenait pas. Vous avez abusé de moi la nuit tandis que je dormais, vous m’avez forcée alors que je vous disais non. Vous êtes entres sans frapper, vous m’avez regardée, observée, épiée alors que je m'efforçais de me cacher. Vous m’avez fait boire pour faciliter votre prise, anesthésier ma conscience, ma volonté pour que je ne puisse m’opposer. Vous m’avez reproche les rares velléités de dire non à l’homme, cette toute puissance qui m’a salie, qui m’a souillée. Je suis crottée, boueuse, et perdue.
Note: (1) Trois heures chez le coiffeur pour satisfaire la petite folie de devenir blonde. Ça lui allait pas mal d’ailleurs. (2) Ce n'est pas en 2012 que le viol a eu lieu mais en 2011. (3) Etre sage, ne pas se rebeller, se taire, c'est un dans ce contexte que nous avons grandis. Mais j'ai l'impression de n'avoir rien vu de ce qu'elle décrit.
11ème jour
20.06.2014
Cher journal,
Jamais je n’aurais cru devoir dire ça… Aujourd’hui, mes pensées se bousculent. Hier, je souhaitais mourir. Ce matin, j’ai l’impression que mon corps subit encore les conséquences de cette fameuse séance thérapeutique. Je ne veux pas me réjouir trop vite. Je ne comprends pas tout. Je ne sais pas si je vais avoir envie de vomir, si je vais succomber. Je ne sais pas si l’hyperactivité ne va pas prendre le dessus… Mais ce matin, je suis moins angoissée alors que je viens de manger. Par ailleurs, mon corps est en train de signer la sonnette d’alarme. J’ai des bactéries plein la bouche. Manger est devenu un supplice par certains côtés… L’anorexie est en train de partir… Je crois bien que ça y est… Par ailleurs, mes rêves sont encore plus mouvementés. Je crois que mon corps accepte désormais de se confronter aux traumatismes et aux émotions qu’il a tenté de taire… Vais-je retrouver la sérénité, la concentration, la joie, l’envie et surtout l'énergie? L'énergie de vivre?
Depuis quelques jours, je passe par une multitude d'émotions, je suis épuisée, mais étrangement, j’ai bien l’impression que cette microkiné m’a sauvé la vie. Si c’est le cas, il me faudra la remercier d’un énorme bouquet. Elle aime les fleurs, je l’ai vu dans son jardin...
Les Traumatismes que j’ai occultés, c’est non seulement la maltraitance physique de l’homme sur ma personne, la perte d’un sentiment de sécurité originelle due au divorce de mes parents et enfin la rupture avec Chris, sans doute l'épreuve la plus douloureuse de mon existence. J’ai perdu l’une des personnes les plus importantes de ma vie dans des conditions absolument effroyables.
Nous sommes le même jour. Le Vendredi 20 juin 2014. Le dernier jour du Printemps 2014. Le dernier jour du Printemps et a priori le tout premier jour de ma guérison. Est-ce que toute cette galère est bel et bien terminée? Vais-je reprendre plaisir à vivre? Aujourd’hui, j’ai bon espoir. Il semblerait que mon corps soit enfin bien en place. Elle avait donc raison, Madame Bohat, ma sauveuse. Elle savait. Comme un sage, elle savait. C’est incroyable. C’est comme si d’un coup, elle avait levé le voile, enlevé la boue qui encombrait mes yeux. Ce n’est pas explicable. J’ai si peur que ce ne soit qu’une idée, qu’une impression éphémère et pourtant, je me sens si bien que je ne souhaite aucun retour! J’aimerais crier mon coeur, crier mon bonheur à qui mieux-mieux, je suis si heureuse, si légère. Je ne ressens aucune angoisse sinon celle que ce bonheur ne soit qu’un vaste mirage. Mais non, je suis guérie, c’est certain et Dimanche, je les inviterai tous pour fêter ça!
09.11.2014
J’ai envie de mourir. Ma vie me parait si absurde et j’ai l’impression presque permanente de ne pas être à la hauteur. Je me hais. Je ne me supporte plus. J’ai peur de ne plus pouvoir dormir. L'idée du suicide est de plus en plus forte. Je n’ai plus envie de me battre. Tout ce que je commence, je n’ai pas envie de le terminer...
Alexis (29 Avril 2014)
Il est mes yeux d’un jour,
L’éphéméride d’un regard partagé
dans sa paume, il enserre ma main
Au sein de sa pupille il m’entoure
au cœur de son iris, il m’étreint
Il a pris l’homme bleu sous son aile
il en a fait le guide papier de nos rêves
et dans la noire écorce du ciel
il a gravé de nos épreuves, la trêve
et sous la paupière de ses yeux clairs une parcelle
protégée, l’effet miroité d’un garage retardé
De deux étrangers, l’asile hasardé.
Sans titre 6
Ses cheveux enroulés bruns qui ondulent sur son visage fin, malin. Ses yeux bruns bridés qui sourient effrontés, insouciants, la lueur triste, l’étincelle joyeuse qui s’entrelacent, valsant langoureusement au sein de son iris tremblante, singulière étreinte d’un regard scellé. Sa jolie bouche rose qui bouge au gré du souffle vaporeux s’échappant de deux lèvres devinées, à peine dessinées, à mesure que clignent ces cils graciles, fragiles, sa sensibilité à fleur de peau et posées, ses mains qui planent sur le clavier, passent furtives, passagères, glissent sur les touches rétives, réactive, son intelligence, ses convictions, sa force de caractère, ses idées, son humour alerte, la façon dont il joue comme un pianiste avec les mots qui fuguent, fusent, fuient fusionnent et fustigent, fument, transfument et fulminent, la rapidité, la dextérité d’un sculpteur aveugle, adroit, adresse de rêve, la glaive de ses réflexions muries, douces, intéressantes, fiévreuses et subtiles, ses lubies et ses passions, son univers international et tellement enraciné aussi, les voyages qui jalonnent les détours de son cerveau, lové les graviers d’or au coin de ses tempes frêles, il est mon orfèvre, le conteur de mes rêves, éphémères, féériques, fertiles inspirés, e sa souffrance. Sa souffrance est belle aussi. Douloureusement belle. La souffrance d’un enfant. Celle d’un adulte aussi, voire celle de deux adultes. Une souffrance cumulée, ambidextre, schizophrène. Une souffrance multipliée, confondue. Une souffrance silencieuse aussi. Latente. Muette. Avortée presque. Etouffée en plein essor. Ce soir, il va parler. Ce soir il ouvrira son cœur étranglé. Un feu d’artifice. Sans artifice. Dévissé son cœur. Evidé des vices, lessivé. Lissé. Avide de reconnaissance. De résonnance. D’entente sonore. Ce soir, il parlera. Il jouera carte sur table, il parlera, il mettra tout à plat, il fera table rase, tabula rasa, attablé, à table il dira tout, tout ce qui l’a accablé depuis tant d’années, le tableau partagé d’une vie coupable.