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God Damn Life

 

 

Comme pour Le Jeune Garçon, Oriane a écrit cette histoire à la main dans un petit carnet à spirales. Elle l’avait intitulée “God Dam’s Life” mais parce que ce n’est pas un anglais correct, j’ai changé le titre ici. Encore une fois, je n’ai modifié que l’orthographe, la ponctuation, et la conjugaison quand cela était nécessaire. Oriane avait prévu 11 chapitres pour ce travail, mais elle semble s'être arrêtée avec le troisième.

Les chapitres sont les suivants:

  1. On m’a abandonné

  2. Un nouveau départ

  3. Nouvelle connaissance

I

On m'a abandonné

 

 

On m’a abandonné [1]! Je crois que je peux le dire maintenant… Voila aujourd’hui trois mois que je n’ai pas eu de nouvelles de ma mère et mon père est mort lors d’un voyage pour New York. Alors, je me trouve la… tout seul… dans un monde qui ne m’est guère familier.

Vous devez trouver cette phrase initiale irrespectueuse envers ma mère. Il est vrai qu’elle ne démontre pas vraiment de respect de ma part. En effet, je ne devrais pas le dire pour la simple raison que c’est ma génitrice, celle qui m’a mis au monde. Et pourtant, je n’ai guère d’estime pour elle. Depuis tout petit, ma mère ne s’occupait qu’à peine de son fils. Elle préférait le laisser livré à lui-même au profit de sa vie affective [2]. Je ne peux pas lui en vouloir. Elle ne m’a pas maltraité.

 

Elle ne buvait pas, ne fumait pas ou que très rarement [3], ne me frappait pas… Elle était juste jeune. Elle ne voulait pas gâcher une jeunesse encore fraîche à cause d’un gosse.

 

Mon père, lui, il travaillait très souvent, soi-disant jour et nuit [4], mais sans vouloir être mauvaise langue, je ne vous cache pas que l'idée qu’il ait une maîtresse [5] m’a déjà traversé l’esprit… Je ne le voyais presque jamais. Son rôle de père me paraissait bien effacé [6], et encore aujourd’hui, je regrette cette autonomie, cette vie de famille négligée, le rôle de mes parents mal assuré [7], la disparition de mon père dans l’autre monde… D’ailleurs, vous vous êtes déjà demandé ce qui pouvait y avoir dans l’autre monde, s’il existe… Cette question est fatale pour des milliards de personnes. Chaque passant que l’on voit, chaque commerçant que l’on croit se préoccuper que d’encaisser, ou même ces sportifs qui paraissent désintéressés par tout ce qui ne se rapporte pas au sport… toutes ces personnes et d’autres encore sont tourmentées par la mort [8], et se torturent l’esprit pour trouver une réponse à cette question: Y a-t-il cette notion de paradis et d’enfer? Y a-t-il réellement une vie après la mort? Peut-on croire en la réincarnation? ou peut-être est-on déjà mort, dans cet autre monde, et qu’il y en a encore une multitude? Et toujours aucune réponse. C’est pourquoi, moi, je n’y pense pas. Cette question ne me perturbe pas. Elle l’a déjà été à la mort de mon père pour savoir où il était… D’accord, y a un corps qui reste toujours là, mais l'âme, elle ne peut pas disparaître comme ça, sans raison. Puis on ne vit pas pour mourir, et je ne pense pas qu’on vive parce qu’on a un but sur Terre, car même si tout le monde avait ce devoir, et que le but de chaque homme servait à construire un monde meilleur, alors à quoi, ou plutôt à qui ce monde serait utile? A Dieu? Il n’a pas besoin de nous pour bâtir un monde soi-disant parfait. Et comme on meurt tous un jour, cette Terre serait vide de toute nécessité.

Afin de ne pas me résigner à une fin si tragique, à des questions dont les réponses me paraissent bien farfelues, je vais vivre ma vie, sans penser à la mort, sans penser à l’autre monde…

… Et voilà, maintenant, je me retrouve isolé de toute présence parentale… seul, tout seul. Je n’ai pas d’ami puisque je viens d'emménager avec ma mère il y a trois mois et des poussières. Elle est partie quelques jours après, sans laisser trace; elle m’avait juste dit: “Je n’en ai pas pour longtemps, je reviens!” Alors, j’ai attendu qu’elle revienne… Elle était partie. Où? Pourquoi? Comment? Aucune idée. Elle ne m’avait même pas inscrit à l'école. Ma mère m’a juste laissé de quoi survivre pendant trois mois, et maintenant, je n’ai presque plus rien pour me nourrir. C’est pourquoi aujourd’hui, j’ai décidé de partir à la recherche de ma mère… Peu importe le temps que ça prendra. Je veux vivre, connaître, apprendre, et il me faut un minimum d’argent. S’il le faut, je me débrouillerais tout seul comme j’ai toujours réussi à le faire.

 

Au fait, je suis désolée, j’ai omis de me présenter. Je m’appelle Ty. J’ai 16 ans depuis hier. Autant vous dire que je ne me sens pas plus mature que l’an dernier. Certains disent que 16 ans, c’est l'âge de raison, ou de maturité. Je vous le dirai quand j’en aurai 18 car pour l’instant, j’aurais plutôt envie de dire que c’est la fin de l'âge bête, et le début de l’ouverture d’esprit…

 

Je suis blond cendre, mon visage ne reflète pas l’innocence ni la trahison, mais l’image d’un adolescent épanoui d'où s'échappe un regard curieux et malin, futé avec un brin de naïveté dans le sourire. Je suis de taille moyenne, de carrure un tantinet frivole, une allure mal assurée, un soupçon nonchalante [9], sans être pour autant disgracieuse, ce qui fait de moi, l’image du gamin vulnérable cependant rusé par l'épanouissement qu’il a acquis dans la vie autonome.

J’aurais du mal à vous décrire mon caractère de peur d'être trop prétentieux à mon égard, ou trop irréaliste…

 

Je n’ai pas de petite amie. Autant dire que je n’ai jamais connu l’amour [10]. Je n’en ai même pas la moindre notion… Mes parents ne s’aimaient pas vraiment. Certes, ils avaient entre eux cette douce affection, ces petites attentions que de bons amis ont entre eux [11]… Mon père a toujours tenu à rester avec nous pour que je ne sois pas défavorisée par rapport aux camarades d'école. Il voulait travailler pour aider ma mère à assurer mes besoins quels qu’ils soient… En vérité, ils savent qu’ils ont fait une erreur, ils ne se sont pas protégés et ma mère est tombée enceinte à l'âge de 16 ans. Elle ne voulait pas d’enfant. [12] Un gosse, c’est une grosse responsabilité, un embarras supplémentaire difficile à assumer lorsque la folie de la jeunesse est si forte et trop irrésistible. Mon père lui tenait à moi autant que ma mère, disons comme un baby-sitter et l’enfant qu’il garde. Il est mort à l'âge de 28 ans [13] lorsque j’avais 11 ans… Il ne m’avait même pas dit au revoir. Il m’a juste lancé un “je t’aime fiston” qu’il avait accompagné d’un “embrasse ta mère pour moi”. Puis, il était parti dans un taxi… Quelques heures plus tard, alors que je m’impatientais du retour de ma mère, je vis à la télévision qu’un avion Paris-New York s'était crashé sous perte de contrôle du pilote. Un jour suivant, on apprit qu’il n’y avait aucun survivant… L’avion avait explosé, il ne restait plus personne…

 

Les trois jours suivants, je n’ai plus rien dit. J'étais muet! De quoi? Si j’avais pu vous dire ce que je ressentais durant ces moments, mais je n’en savais rien… Aujourd’hui, je crois que c'était de la rancoeur. J’avais l’impression qu’il m’avait trahi, qu’il m’avait abandonné sas rien ne m’avoir appris… je ne m’y attendais pas. Je me voyais lui demander des conseils pour le travail, le bricolage, et même l’amour, mais tout ça, ce ne sont plus que des rêves morts… Je crois que je l’aimais comme un vrai père même si ce qu’il m’a apporté ne fut pas ce qu’un enfant aurait souhaité… J'étais triste!

 

Après cet incident, j’ai décidé de vivre de l’avant, sans souci. Après tout, comme disait je ne sais plus trop quel philosophe, CARPE DIEM. Ces deux mots représentèrent mon système de vie: ne pas songer au passé, ni au futur. Pascal, ce grand penseur disait que pour être heureux, je veux dire vraiment heureux, sans stress, sans angoisses, il faut vivre dans le présent, penser au présent, construire dans le présent… Mais il dit que c’est impossible; les hommes ont des souvenirs qu’on ne peut pas tuer et des projets, des rêves, des désirs qui sont parfois irréalisables dans le présent, sans quoi ils sont obligés de penser au futur…

Dans le présent, on peut connaître le bonheur mais on est incapable de créer, enfin je pense.

C’est pourquoi, je vais juste prendre une partie de la théorie. Je songerai au futur et au passé sans pour autant me soucier, m’angoisser. Je me débrouillerai, je ferai de mon mieux mais si je n'atteins pas le but de mes souhaits, je ne vais pas plonger dans la déprime.

 

J’adore l’aventure, bien que le sport ne soit pas mon fort. Il n’y a rien de vraiment excitant dans le sport [14]… Je crois que mon handicap, je veux dire, ce qui m'empêche d'apprécier le sport vient du fait que je suis plutôt de nature solitaire. J’ai jamais vraiment eu de vrais amis [15]. Et comme vous l’avez remarqué, tous les sports sont collectifs… Celui qui me plaît, c’est l'athlétisme. On donne toute sa force, toute son énergie, tout ça pour soi-même, et que pour soi-même, pas pour le capitaine d’une équipe ou une équipe… A chaque fois qu’on jouait à l'école, au basket ou au football, on nous faisait des remarques toutes aussi désagréables les unes que les autres, pour démontrer que vous auriez dû mettre un panier ou faire un but, que vous n'êtes capable de rien! Et on ose nommer ça l’esprit d'équipe!

 

Depuis 11 ans, j’essaie de me trouver un talent caché, mais dans tous les loisirs, les sports, les activités auxquelles je me suis intéressé, jamais je n’ai réussi à me découvrir un quelconque don [16]... Partout où je vais, peu importe ce que je fais ou comment je me conduis, je déçois tout le monde. On me croit différent de ce que je suis. On m’imagine autrement [17], les profs, les parents, les amis, la famille, tous...

Je crois que je me cherche un talent peut-être inexistant afin de plaire, oui afin de plaire à toutes ces personnes que j’ai déçues. J’aimerais tellement qu’ils me voient différemment, qu’ils ne voient pas que mes défauts. Il doit bien y avoir quelque chose en moi, que me différencie des autres, quelque chose qui fasse de moi un garçon original, hors de quelques banalités? Je rumine ça depuis tant d'années! Tant que je ne trouverais pas cette différence en moi, mon esprit se rongera et jamais je ne pourrais être totalement heureux. Si je suis solitaire, c’est à cause de ce petit manque que je sens en moi! J’avais l’impression que sans ça, je n'étais rien, alors je me renfermais sur moi-même. J’expulsais toute forme d'amitié afin de ne décevoir personne par la présentation de ma pauvre banale petite personne.

 

Mais maintenant, je le sais, sans vouloir être présomptueux, je le sais, oui, j’ai ce petit truc qui fait de moi une autre personne avec ses propres défauts et qualités… Si je suis là, c’est Dieu qui l’a voulu alors cela veut bien dire que j’ai une marque de différence, sinon, je vois pas l'intérêt de m’avoir créé… Enfin cessons ces pensées trop mornes pour un jour si nouveau qui est pour mon âme le symbole de la gloire.

 

Je suppose que vous vous demandez si je n’aime pas beaucoup le sport, que fais-je pour ne pas m’ennuyer. La plupart du temps, je me dénude de quelque forme de routine pour me retrouver artiste… Je dessine. Je fais de la poésie [18], si on pense nommer ce loisir ainsi sans vouloir indigner un art si pur, si beau. Mais “l’artiste” qui sommeille en moi reste déguisé dans cette étoffe de routine, de pauvre gens, pour éviter d'être assailli de critiques, car l’art quel qu’il soit est si beau qu’il ne mérite pas d'être critiqué avec des jurons lorsqu’on méconnaît toute son âme. Je passerais des heures à défendre l’art. Personne ne connaît vraiment sa définition. C’est un mot si petit qui est pourtant si grand. Je pense que tout le monde peut créer une oeuvre d’art. Il suffit d’avoir une âme d’artiste, qui a l’esprit ouvert, qui aime les visions déformées de celle de la réalité… Je me souviens. Il en est un du nom de Barres qui disait: “Une oeuvre d’art, c’est le moyen d’une âme”. N’est-ce pas vrai? J’en suis persuadée. L'âme dissimule tant de secrets, tant de beauté, inconnus même de nous-mêmes que lorsque l’on arrive à la laisser s’exprimer, qu’importe comment, qu’importe où, c’est extraordinaire. Il ne faut pas empêcher cette forme d’expression. C’est rare et étrange, et c’est ça qui fait de cette découverte de l'âme, une oeuvre d’art. Je crois qu’il suffit de ressortir ce qu’il y a au plus profond de vous, à la manière de votre souhait, et vous ferez de l’art… Le plus délicat me paraît être le fait de savoir et de ne pas confondre la perle qui est en vous et qui vous permet d'être ce que vous êtes. L'écrivain n’a peut-être pas voulu dire ce que pour moi, cette phrase signifiait et je suis désolé d'être indigne de l’explication de sa citation mais je l’ai ressenti comme ça, et chez un artiste, c’est ce que l’on ressent à la première impression qui est le plus important. Mais je crois que l’auteur qui définit le plus justement fut Proust. Il pense que “Par l’art, seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune”.

 

C’est exactement la pensée qui me traverse l’esprit dès que j’en entends parler. N’est-ce pas magnifique cette forme d’expression tout à fait spontanée et pourtant si complexe qui même peut rejeter le destin, le maître de nos vies, comme l’ombre rejette la lumière du jour…?

 

L’art est vraiment ma passion. C’est grâce à lui que je m’en suis sorti, grâce au dessin, car ce ne sont pas les pensées funestes et lugubres qui manquent à la destruction de mon âme [19], mais le dessin me permet de refuser tout forme d’amertume fatidique. Cependant, je ne m'évertuerai pas à vous épiloguer les vertus de l’art car il y a bien d’autres choses en ce monde qui sont merveilleuses que je méconnaisse, et dont l’impatience [20] me ronge l’esprit d’aller les voir...

Notes

 

[1] 

Bien que ce soit une histoire fictive, il semblerait que l’abandon, thème important dans ses écrits, ait été un sentiment omniprésent pour Oriane.

 

[2]

C’est très parlant. Oriane a souffert du comportement soumis de maman face à notre beau-père. Il avait en quelque sorte priorité et injustement, elle a dû présenter des excuses pour avoir été la cible de son mauvais humour déplacé, dégradant, et irrespectueux, en particulier le 9 Juillet 1997. A en croire Purgatorio et nos conversations, elle n’a jamais vraiment digéré cet épisode.

 

[3]

Maman était une fumeuse, surtout après le divorce si je me souviens bien, mais progressivement, elle a arrêté. Papa aussi était fumeur: la pipe dans ses jeunes année (je me souviens encore de l’odeur moins agressive à la gorge, moins étouffante au nez que la cigarette), puis la cigarette plus tard, après le divorce. Il disait “crapoter” plus que fumer, mais même crapoter, il a fini par arrêter.

 

[4]

C’est pas peu de le dire. Papa a repris ses études après le divorce, pour une nouvelle vie ambitieuse. Donc, il étudiait le jour et travaillait la nuit (comme veilleur de nuit) pour s’assurer un toit et à manger. Cela dit, plus tard, tout son temps et son énergie passaient dans les études, surtout en période de partiels, ce qui a fini par payer.

 

[5]

Bon, là, l’analogie est amusante parce que bien sûr, au temps où elle a inventé cette histoire, les parents étaient déjà divorcés et Papa était déjà avec sa nouvelle future épouse.

 

[6]

Nous avons certainement souffert de sa présence de plus en plus réduite, Oriane particulièrement. Papa lui-même regrette et s’en veut de n’avoir pas pu être plus présent.

 

[7]

Maman assurait son rôle comme elle pouvait mais pour un enfant, c’est pas forcement facile de se retrouver livre à soi-même (ou même à sa grande soeur) plusieurs heures par jour quand la maman travaille et quand elle essaie de reconstruire sa vie amoureuse.

 

[8]

Deuxième thème très présent dans les pensées et les écrits d’Oriane. Je n’avais pas réalisé que ça remontait à plus de 10 ans avant sa maladie. Cela dit, 17 ans est un âge où on se pose facilement ce genre de questions… et les cours de philosophie avec Mme Ostfeld vous y poussent...

 

[9]

Oriane n'était pas toujours trés coordonnée et sa démarche aurait pu être (ou a été) décrite comme mal assurée, un soupcon nonchalante.

 

[10]

sa première relation amoureuse sérieuse ne débuterait que quelques mois plus tard, avec Romain Raguin.

 

[11]

c’est vrai qu’ils ont gardé un contact affectueux et échangeaient autour d’un verre à l’appart pendant un temps. On disait même pour ça entre autre que leur mariage avait peut-être échoué mais leur divorce était réussi. Mais ces visites amicales n’avaient plus lieu quand elle écrivait cette histoire

 

[12]

[Euh là, c’est purement fictif. Maman avait 24 ans quand elle a mis Oriane au monde. Elle n'était pas une erreur non plus. Elle était bien calculée au contraire pour me suivre à 2 ans d'écart.

 

[13]

Là non plus, ça ne coïncide pas avec la réalité. Pas de mort et même la séparation avait eu lieu quand elle était plus jeune

 

[14]

Et pourtant,Oriane a aimé le sport: Elle a commencé avec le tir a l’arc, mais son sport favoris, je pense, était le tennis (tous deux des sports plutôt individuels). D’ailleurs, non seulement elle le pratiquait (surtout en solo contre un mur), mais elle aimait suivre les tournois de Juin, et soutenait Nadal et Federrer. Et plus tard, elle se faisait des séances de jogging, d’abdos, et de natation.

 

[15]

C’est vrai qu’Oriane s’occupait facilement seule. Elle n’avait pas besoin d'être constamment entourée. Elle avait bien quelques amies qu’elle a gardées longtemps mais bizarrement, même dans la maladie, elle a écrit dans son Purgatorio et dans nos conversations écrites qu’elle n’avait jamais tellement ressenti le besoin d’avoir des amies. Nous étions les meilleures amies.

 

[16]

Il est évident qu’elle avait fini par se trouver un talent, celui du dessin.

 

[17]

J’aimerais pouvoir lui demander si c’est l’histoire ou elle et si c’est elle, comment on l’imagine, et ce qu’elle est vraiment, si le dessin n’est vraiment pas un truc pour elle plus qu’un truc pour plaire. Elle a essuyé de nombreux reproches du type “tu perds tout, tu oublies tout, tu casses tout”, le dernier étant le plus dur pour elle. Alors il n’est pas surprenant qu’elle ait pu avoir l’impression de ne faire que décevoir.

 

[18]

Nous y voila, le dessin et la poésie, ses talents!

 

[19]

Je reste sans voix. Il est évident que ce Ty est Oriane dans son amour et talent pour le dessin. Et si ceci est certain tout comme il est admis que le dessin est un échappatoire et une sorte de thérapie, alors il est difficile pour moi d’imaginer qu’Oriane ne souffrait pas déjà alors, qu’elle ne vivait pas déjà avec certaines pensées noires ou du moins des questions existentielles. Elle a tout de même choisi l’expression “destruction de mon âme” ici.

 

[20]

Oriane était une passionnée, curieuse, avide de découverte et de savoir, et ces textes le montrent bien. En cela, il est clair qu’elle aimait la vie. Si elle avait pu, elle l’aurait avalé. D’ailleurs, ce mot bien choisi “impatience” nous le fait bien sentir, et dans la maladie, l’impatience était un trait exprimé à son paroxysme.

 

On m'a abandonne

II

Un nouveau départ

 

 

Il est maintenant 22h04, et c’est cette heure-là pour laquelle j’ai opté afin de définir mon départ pour que ce ne soit pas une heure fatidique mais de toute manière, ça le sera forcément puisque personne ne peut défier le destin… C’est pourquoi je le hais, je le hais sans pourtant le détester, puisque c’est la seule chose y compris la nature que l’homme ne peut changer, ne peut détruire, ne peut fonder. Il est omniprésent à partir du moment où l’on est un foetus, le destin est en notre personne, il est notre maître et nous sommes ses esclaves, enchaînés au choix de ses mains. Tout est planifié, même la plus petite seconde est contrôlée par le xxxx de son âme, xxxx [21] les yeux de son esprit dont chacun de nos énervements en est le fruit. C’est par nos vies, par notre existence-même qu’il fait de ces moments des souvenirs extatiques. C’est par la gravité de nos accidents qu’il connaît l’euphorie. Ces pensées sont l’aboutissement à la vie ou à la mort. On ne peut en nier la fureur puisqu’il est le maître de nos vies.

 

Mais cependant, c’est grâce à la gloire prochaine de ma nouvelle vie que j’ignorerais notre maître et par cette théorie, j'espère en acquérir la sagesse, même si ma vie repose sur son voeux, je poursuivrais mes efforts peut-être vains à cause de la difficulté qui les mène, car j’ai besoin de vivre par moi-même!

 

J’ai changé d’avis. Je partirai à 24h06… le temps passe vite, à cause de mon désespoir éphémère. Mon réveil indique 4 chiffres froids et pourtant significatifs puisque je dois bientôt changer de vie. Ces dernières minutes seront le reflet de mon pessimisme qui bientôt disparaîtra sous cette vague fraîche et vigoureuse. Il est 23h44. Pour effacer les brèves traces de ma tristesse bientôt éclatée, je décide de ne rien emporter sinon la peluche de mes consolations ainsi que quelques feuilles et un crayon bien taillé de quoi croquer pour 2-3 jours, puis une pomme, symbole de la sobriété et de la vie…

Pessimisme, je ne veux plus entendre ce mot qui sans cesse ronge à petit feu mon pauvre esprit par sa force de persuasion. Je ne supporte plus les personnes qui le sont; elles disent ne pas tenir à la vie, elles encouragent un point de vue négatif sur la vie, alors que d’autres qui ont besoin de l'apprécier en vue du bonheur, se forcent à positiver, s’obligent à trouver des aspects agréables afin de ne pas revenir à la conclusion que des idées noires permanentes lui apportent. Il y en a qui ont besoin d’aimer la vie pour ne pas se supprimer et éviter donc la peine, la tristesse des gens qui les aiment. Je crois que de rester avec des pessimistes nous force à être sans cesse en contradiction entre le bien et le mal, et je ne veux pas que par ma faute, d’autres le soient. C’est pourquoi, je décide de cesser tout forme de négativisme ou tout du moins, je l'intérioriserai [22].

 

Il est 24h04, je crois que je suis prêt… Dans 2 minutes, ma vie va différer de passé morne et c’est à mon tour de connaître l’euphorie. Je vais quitter ce lieu de débauche, ignorer l’orgie de mon ancienne existence vile.

Quelque chose d'impondérable m’attend.

Finie cette opprobre. Elle est ensevelie dans le linceul de la mort. Adieu, fange de Malheur.

 

24h06. J’ouvre la porte. Quel est ce vent frais? Quelle est cette odeur nouvelle? Qui suis-je?

 

Ma porte s’est refermée…

Me voilà, je suis ignorant, mon âme a naquit. Elle est encore frêle et frivole, pleine de joie, de naïveté, d’inadvertance.

Me voilà! Jeune garçon effronté, impudent, quelque peu indolent, mais non bourru. Je suis lié à ma nouvelle vie. La torpeur s’empare de ma nouvelle personne face à ce clair-obscur. Je suis heureux. Non, c’est pas du bonheur, c’est un plaisir indescriptible… Serait-ce le passage de cette porte qui a [23] mon âme, qui l’a libérée de cette sujétion?

 

Mais ne perdons pas de temps, affrontons la vie de mes envies. Je n’avais jamais vu pareille beauté. Voilà un nombre incalculable de rues éclairées de 1001 lumières. Chacune d’elle court sur mon visage, en change les traits par les ombres qu’elles y tracent. Je parcours chacune de ces rues à la vitesse qui me permet de sentir la fraîcheur du vent de ce soir qui est à l’origine de mes joues roses.

 

Que fais-je? Où vais-je? Aucune idée, mais je vis, enfin je vis. Inexistence de la raison, de la précision, omniprésence de la spontanéité, de la joie, ignorance du Destin. Mes pensées vagabondent sans réponse… je n’en souhaite aucune. Je veux rester l’enfant du soleil [24]. Je veux demeurer l’incarnation de la jeunesse naïve, crédule, de la probité inconnue. Je suis le regret volontaire de la Mystification. Mystérieux jeune homme à l’allure frêle, mal assurée, qui court tardivement dans les rues pavées, souillées par la tourbe pour l’instant absente, celle que je fuis. La foule sans originalité, qui suit le mouvement de la mode, du progrès avec incompréhension.

Certains pourraient croire en me voyant à l’effet d’une droguée dure. Ils se leurrent car je suis indépendant de tout, même de la raison car je suis à sa recherche. ce soir, je naquis et je dois tout apprendre de la vie. La Raison me fuit, la jolie me guette, la jeunesse m’embrasse.

 

C’est maintenant que je veux vivre. Brusquement je m'arrête. Deux lumières rondes m'éblouissent. Un bruit sourd heurte l’harmonie du son dont mes oreilles s'étaient emplies. Ce bruit se rapproche. Je ferme les yeux car la luminosité est trop intense. Me voilà paralysé par je sais trop quel sentiment. Tout se passe vite, tout se rapproche… C’est une voiture mais je ne peux pas bouger. Je suis perplexe devant cet engin aveugle. Mais il est trop tard, sa vitesse est trop forte pour que le freinage soit utile à mon secours…Tout à coup, mon corps bascule sur l’avant de la voiture [25]. Ma tête est secouée, elle frappe le pare-brise. Mon corps est mou, souple. Je roule. Tous mes membres se heurtent contre la carrosserie de la voiture. Je ne comprends rien. Tout se passe si vite. J’ai beau ouvrir les yeux, je ne vois rien, je n’entends rien, je suis pris d’un sentiment de peur. Je suis empli d’une indescriptible douleur. Je suis en train de quitter le doux bonheur plaisant que je viens de connaître. Je ne sais plus. Je ne sais pas. Tout se passe trop vite. Tout m'échappe.

 

 

Notes

 

[21] 

Je n'ai pas réussi à déchiffrer ces deux mots pour vous les retranscrire.

 

[22]

Et elle a réussi. Elle aspirait à cacher ou du moins amenuiser sa peine pour ne pas attrister et inquiéter autrui. Elle intériorisait tout, elle repoussait le négativisme. Elle ne voulait pas embêter. Elle n’aimait pas se sentir égoïste. Bien que ces traits lui aient valu sa perte, on doit bien lui reconnaître cette qualité courageuse et généreuse.

 

[23]

Mot impossible à déchiffrer.

 

[24]

Et voilà l’expression claire d’un désir ancien de rester enfant. Ici, l’enfant du Soleil, plus tard Pierrot lunaire et Lorialets.

 

[25]

Deuxième texte ou Oriane décrit se faire renverser par une voiture. Pourtant, mise à part maman lui roulant sur le pied, je n’ai pas connaissance d’un tel accident.

Un nouveau depart

III

Nouvelle Connaissance

 

 

Que le réveil me semble dur aujourd’hui!... Je n’arrive pas à ouvrir les yeux. Mes paupières sont lourdes et je me sens tout courbatu. Je n’arrive pas à bouger. J’ai l’impression d'être paralysé. Mais étrangement, j’suis heureux. Malgré ces douleurs, mon âme est pleine de vie. Elle bouillonne de souhaits, de joie.

 

Il faut que je me réveille, il faut que je puisse profiter de cette dépendance au bonheur.

 

J’ai ce bizarre sentiment d’avoir dormi pendant une éternité…

 

Oh Douce Lumière du jour qui m'éblouit à l’ouverture de mes yeux. Est-elle la cause de mon trouble visuel? Je ne reconnais pas cet endroit. Tout est blanc. Quelques taches ambulantes trahissent cette pureté. Mais tout est indéfinissable. J’entends un sourd bruit de roulette, de grincement, un semblant de paroles indistinctes.

Me voilà perdu dans un univers flou dont j’ignorais jusqu'à ce jour l’existence.

Maintenant, des questions plus farfelues les unes que les autres tourmentent mon esprit fragile. Serais-je au paradis? Peut-être suis-je un ange? Serait-ce possible que Dieu [26] m’ait offert le don qu’il a offert à Baudelaire ou à Platon qui sont celles des rares personnes qui perçoivent le monde spirituel… remarque qu’y a-t-il de spirituel dans un monde blanc et flou? Non, c’est autre chose. Mais quoi?

 

Soudain, je sens une pression sur mon bras nu. Quelque chose me secoue, mais je ne distingue pas ce que c’est. Une tache marron me cache la lumière du jour. Elle se précise. Mes yeux s’ouvrent un peu plus…

 

C’est un jeune adolescent, je crois. Il doit avoir une quinzaine d'années. Son visage plutôt rond est découpé par des mèches de cheveux qui lui cachent sa frimousse en contrastant sa pureté par leur couleur brune. Cependant, ces yeux restent bien visibles: deux pupilles malignes, mais encore innocentes par la jeunesse que la forme des yeux révèlent. Toutefois, malgré ce sourire, ce que les traits de son visage railleur, ce que ses yeux trompeurs émettent ressemblent à la marque d’une profonde tristesse. [27]


**********************************************

Notes

 

[26] 

Oriane a été baptisée, a été au catéchisme du moins jusqu'à sa première communion, mais pour autant que je m'en souvienne, elle ne se sentait pas catholique. J'irai même jusqu'à dire qu'elle n'aimait aucune religion. Il me semblait qu'elle n'était pas croyante encore qu'elle n'était pas insensible à la possibilité de l'existence de quelque chose au-delà de notre contrôle. Je la décrirais comme agnostique. Mais ici, il semblerait que soit je me sois bien trompée, soit elle a trouvé plus facile d'employer le terme de Dieu.

 

[27]

Oriane s'est malheureusement arretee la. Nous ne connaitrons pas la suite. A nous de l'imaginer!

Nouvelle Connaissance

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