Le Jeune Garçon
Je retransmets ce texte tel que je l’ai trouvé dans un petit carnet à spirales, aux pages numérotées, et ça et là illustré. Les titres sont écrits à la plume, en calligraphie. Je n’ai changé aucun mot, aucune tournure, que l’orthographe, la conjugaison, ou la ponctuation.
Les chapitres sont les suivants:
La fuite...
Plusieurs jours d’hiver passaient. Il faisait froid. Tim écoutait les longues conversations de ses parents. Au bout d’un mois, à force de les entendre, Tim en eut marre et comprit que ses parents allaient se séparer [1]. Tim était perturbé, il décida de partir loin. Il pensait que ses parents se quittaient à cause de sa lacune [2]. Il pleuvait. Il parcourait de nombreux paysages qu’il ne pouvait jamais voir. Il n’avait pas de copains, il ne connaissait personne sauf ses parents et les gouvernants. Il n’avait jamais rencontré d’animal, ni même un éléphant. Le seul animal qu’il connaissait, c'était la colombe: son idole. Elle représentait beaucoup pour lui, ses airs, ses chants. Il leur parlait, elles se déposaient sur son épaule, il entendait leur battements d’ailes. Il se disait que plus tard, il ferait un fugue et grâce à ses cris perçants, elles le guideraient. Il ferait de nombreux voyages et il connaîtrait enfin la forêt et les champs.
Tim était âgé de 13 ans [3]. Il était blond cendré avec de grands yeux magnifiques, bleus de mer, dont il ne pouvait malheureusement pas se servir. Ce pauvre garçon était aveugle [4]. Il était de famille bourgeoise, ce qui ne lui plaisait guère [5]. Il était un enfant courageux et, malgré l’attention et la générosité qu’avaient ses parents sur lui, il n'était pas gâté. Il était petit et il détestait la vie que lui faisait mener ses parents. Il avait des instituteurs personnels [6] qui venaient spécialement pour lui. Ils lui faisaient étudier ce qu’apprenaient les enfants “normaux (disaient-ils). Les instituteurs étaient sévères. Le jeune en avait marre. Il ne pouvait jamais aller chercher du pain [7], faire les courses, jouer avec des garçons de son âge. Il devait rester à la maison. Il avait juste le droit d’ouvrir l’immense fenêtre pour prendre l’air. Il voulait être libre; son seul désir: être comme les garçons de son âge, perdre son handicap qui le gênait beaucoup. Il était vêtu d’un pantalon de velours marron, d’un béret, d’un chemisier au col brodé au fil d’or qu’il faisait ressortir sur son pull. Comme il ne pouvait pas voir, c'était Marie la gouvernante qui l’habillait car la mère était assez exigeante [8], surtout sur ce point-là. Tim, lui, rêvait d’une vie où il serait le héros. Il s’installerait tout seul, il n’aurait pas de gouvernante, pas de femme de ménage [9], ni d’instituteur spécial. Il descendrait les escaliers sans que personne ne s'inquiète, sans qu’on l’aide, même sans sa canne. Il serait libre, aventurier, débrouillard. Les parents le laisseraient indépendant [10]. Il aurait le droit de jouer avec ses camarades, d’avoir une colombe, en gros d'être un adolescent “normal”, comme tous les autres. C’est pourquoi cette envie de s’enfuir avec les colombes l’envahissait. Son seul regret aurait été de perdre Marie (la gouvernante). C'était la seule qu’il appréciait. Elle lui racontait des histoires, de belles histoires où le héros était un gamin. Il partit un matin à 6h04. Tous les domestiques dormaient. Le père de Tim n'était pas revenu de son travail. Il s'était absenté car il avait des projets importants et qu’il devait terminés absolument avant ce soir [11]. Sa mère dormait encore car elle avait eu une journée chargée.
Le couloir était long et large. faisait attention, il s’appuyait contre le mur en le longeant. Quand enfin il arriva à l’escalier central dont ses parents avaient une peur affreuse - ils avaient peur qu’il tombe et qu’il dévale l’escalier pour qu’il se retrouve par la suite dans une chaise roulante. Mais maintenant Tim allait les descendre tout seul. Il était fier, hautain, vaniteux, sans que ses parents le regarde d’un air apeuré, la bouche béate, les yeux grand ouverts, inquiets. Ses escaliers si grands, garnis d’un tapis long, rouge comme à la cours d’un roi. Tim ne s'était jamais douté que ses escaliers étaient aussi longs. Il pensait qu’on aurait dû mettre un ascenseur tellement c'était pénible de les monter et de les descendre… Quand il eut termine de les descendre, une grande sensation l’atteignit; celle de se sentir comme les enfants “normaux”. Il était fier de lui. Il traversa de nombreuses pièces avant d’atteindre la porte.
Enfin, il était arrivé devant la porte. Il tendit le bras, approcha main de la poignée. Tim tenta d’ouvrir la porte en appuyant sur la poignée. Il se rappela soudain chaque matin, quand son père partait, l'énervement qu’il avait de devoir déverrouiller la porte. Il y avait six verrous, un judas, et une chaîne [12]. Il y avait beaucoup de sécurité car vers 1970, il y avait eu beaucoup de tentatives de vols. Heureusement, hier, comme c'était une journée chargée à cause de la réception, organisée par les Buins (la famille de Tim), pour leurs amis, leur employés, leurs domestiques (puisque dans tous les domaines, ils étaient des patrons), les domestiques avaient malencontreusement oubliés de mettre la chaîne. Tim ne comprenait pas le système de cette chaîne. Trente minutes s'étaient écoulées quand il eut fini de tous les ouvrir car il fallait, pour les trouver, qu’il tâtonne la porte.
A 7h30, Tim sentit le grand air froid de la liberté. C’était une des premières fois qu’il entendait les branches contre le tronc d’arbre. Il entendait les cris des enfants, les voitures rouler, et la chaleur du soleil réchauffer sa peau, les talons des dames sur le sol. Tim avait pris sa canne mais il s’était juré qu’un jour, il la jetterait et qu’il ne s’en servirait plus jamais. Mais pour l’instant, il préférait la prendre pour pouvoir se débrouiller. En plus, il ne connaissait pas la rue. Il longea l’allee. Quand il arriva devant l’immense portail qu’il ouvra automatiquement en appuyant a tâtons le code numéroté. La ville était bruyante. Pendant un instant, Tim eut peur. Il voulut soudain repartir. Mais il dit que le réconfort des parents ne valait pas la liberté. C’est pourquoi il continua sa route. La nuit tomba, Tim était fatigué. Ça faisait 13h20 qu’il marchait. Il n’avait mangé qu’une orange qu’il avait gardée un jour. Il était devant un hangar quand soudain une bande de jeunes vandales l’accosta. Il courut et sans s’en rendre compte, il traversa la rue mais loupa le trottoir. C’était la nuit, il essaya de se relever, une voiture le renversa [13]. La voiture était tellement rapide qu’elle ne pouvait s'arrêter. Le gamin était étendu sur le sol...
Notes
[1]
La séparation de nos parents avait eu lieu de nombreuses années avant qu’Oriane n’invente l’histoire du Jeune Garçon.
[2]
Oriane a peut-être culpabilisé de la séparation, se cognant, perdant ou cassant des choses.
[3]
Oriane avait exactement 13 ans quand elle a commencé à écrire ce roman.
[4]
Oriane n'était pas aveugle mais sa vue n'était pas parfaite; elle était myope. Oriane et ses lunettes, c’est toute une histoire. Oubliées, perdues, cassées… De nombreuses paires sont passées entre ses mains. Pour autant, sans ou avec lunettes, la tête dans la lune, elle s’est souvent cognée dans des baies vitrées fermées.
[5]
Cette remarque ne peut m'empêcher de me faire sourire. Au collège, nous avons souvent été traitées de bourgeoises. Maman travaillait dur et était loin de nous offrir tout ce qu’on désirait. Papa avait repris ses études et avait bien du mal à joindre les deux bouts. Si nous étions perçues comme bourgeoises, c'était parce qu’un mercredi sur deux, nos grands-parents paternels venaient nous chercher à la fin des cours, avec leur Mercedes. Nous apprécions qu’ils viennent nous récupérer et nous avons passés de bons mercredi mais la Mercedes, ça ne nous plaisait pas...
[6]
Ce fait est fictif pour les besoins de l’histoire. Nous avons été à l'école publique de la maternelle à l'université.
[7]
Non seulement nous avions le droit d’aller chercher le pain, mais parfois, nous étions même de corvée. Et pas seulement pour le pain… Maman nous demandait régulièrement de bien vouloir aller au bureau de tabac lui acheter ses Gauloises légères, du moins jusqu'à ce qu’elle s'arrête de fumer.
[8]
Maman avait parfois une idée précise de ce qu'était "être bien habillée" comme faire blouser la chemise, mais à 13 ans, maman ne décidait plus de ce qu'Oriane pouvait porter.
[9]
Contrairement à ce jeune Tim, chez nous, pas de gouvernante ou de femme de ménage. Le ménage, c'était le devoir de chacune: participation à la vaisselle, mais surtout la chambre devait rester “visible”.
[10]
Oriane se plaignait toujours de ne pouvoir être indépendante, qu’on s'inquiète tout le temps pour elle, qu’elle soit toujours obligée de rendre des comptes. Apparemment, ce sentiment remonte au moins jusqu'à l’adolescence.
[11]
Je ne sais pas si elle fait implicitement référence aux voyages paternels professionnels en Allemagne, aux week-ends annulés pour des révisions de partiels, ou si même elle a inversé père et mère, ce qui refléterait plus les absences maternelles pendant des heures tardives de travail...
[12]
Il est possible que la lourde porte (avec judas, verrous, et chaîne) de l'appartement du Cours Vitton l'ait inspirée. Je ne me rappelle pas l'année.
[13]
Oriane a souvent manqué se faire renverser par une voiture en traversant trop confiante.
Un Lieu Inconnu
- ”Viens-là Filou! Ton repas est prêt!”
Allongé sur un canapé, Tim était là, et quelque chose de baveux lui frôlait la joue. Il sursauta surpris d'être encore vivant. Il fut également surpris par des cris et des poils. Tim n’avait jamais rencontré de sa vie un chien. C’est pourquoi il demanda à la cantonade:
- Qui est-ce? Mais ou suis-je donc?
Une voix lointaine, douce, aiguë, répondit à Tim:
- Calme-toi! Tu es à l’abri ici. Je te présente Filou, mon chien.
- Un chien, c’est ça!? Une boule de poil douce et avec une chose baveuse!
La vieille femme lui répondit:
- Mais tu n’avais jamais vu un chien, tu ne sais pas ce que c’est?
- Je n’en ai jamais vu parce que je suis aveugle.
- Oh je suis désolée de t’avoir offensé, rétorqua la femme.
- Ce n’est pas grave. Comment suis-je arrivé ici, comment est-ce possible?
- Tu es là car mon chien Filou t’a ramassé et t’a ramené ici. Comment ça se fait que tu sois aveugle mais que tu sors le soir sans ta canne et que tu te retrouves sur la route, allongé?
- Je vais tout vous raconter! dit-il. Ma famille est une famille bourgeoise! Comme je suis aveugle, je n’ai pas le droit d'être à l'école avec des enfants de mon âge. J’ai des instituteurs personnels et je n’ai rien le droit de faire. Je n’ai jamais pu mettre le pied dehors. Mes parents ont peur pour moi, donc comme je voulais être libre, je me suis enfui. J’ai marché toute la journée depuis 7h40, et soir. Je ne savais vraiment pas du tout où j'étais. Mais malheureusement, je savais que je n'étais pas à la campagne. Je marchais sur des sortes de morceaux de bois, sur des boites de conserve, des canettes. J’ai pensé que je marchais près d’un entrepôt. Soudain, un groupe de vandales m’attaqua. Je courus le plus vite possible. Je loupai le trottoir, tombai sur la route, une voiture passa, et je perdis conscience. Je me souviens pas ce qui s’est passé ensuite… Mais où suis-je, vous ne me l’avez toujours pas dit!
La gentille dame dit à Tim qu’il était à la montagne où il faisait froid, beau et où toutes les activités étaient possibles y compris les activités aquatiques et elle lui demanda aussi:
- Je suppose que tu ne veux pas retourner chez toi… Par contre, tu resteras ici 2, 3 jours le temps de te rétablir. Le jeune garçon répliqua:
- Je veux bien rester ici mais je vous en supplie, ne me ramenez pas à la maison.
La femme dit tout de suite:
- Mais je n’ai aucune intention. Même si je le voulais, je ne sais pas où tu habites, ni ton prénom.
- Je m’appelle Tim. J’habite à…
- Je m’en fiche d’où tu habites. Si tu ne veux pas repartir chez toi, je n’ai pas besoin de le savoir. Dorénavant, tu resteras ici et je t’apprendrai plein de choses. Tu pourras aller chercher le pain avec moi, et quand tu connaîtras “Loubière” [14] comme il faut, tu iras tout seul.
- C’est vrai? Merci! Maintenant, presque tous mes voeux sont réalisés! dit-il d’un air joyeux, content et hautain.
- Pendant qu’on y est, quels souhaits te reste-t-il?
- Eh bien, j’aimerais aller à l'école et perdre mon handicap.
La belle femme répondit à nouveau:
- Tu sais, pour aller à l'école, il faut aucune lacune. Tu crois que tu es le seul à avoir une lacune? Il y a plein d’enfants comme toi qui sont dans des écoles spécialisées pour les sourds ou les aveugles.
- Oui, mais moi, je veux être comme les enfants normaux. Je veux aller à l'école et être comme si je n’avais pas de problème.
La vieille femme lui rétorqua calmement en ne voulant pas le vexer:
- Je ferai tout mon possible. En attendant, reste avec Filou. Je vais faire les courses pour que notre nouveau venu puisse se nourrir. Au fait, s’écria-t-elle, dorénavant, appelle-moi Léa. J’aime mieux que tu m’appelles par mon prénom en me tutoyant!
Léa était sur le point de partir quand soudain Tim parla, l’interrompant dans son action.
- Léa? C’est quoi “Loubière”?
Léa répondit à voix basse:
- Essaie de deviner. Vas faire un tour avec Filou. Il connaît bien le village. Tu sauras ce que c’est “Loubière”, s’exclama-t-elle!
Tim, fatigué, ne fit pas attention à ce qu’avait dit Léa et se rendormit.
Un grincement de porte.
Léa rentra avec les mains chargées de sacs. Tim dormait encore. Léa ferma la porte doucement pour ne pas réveiller Tim, après toute cette aventure nocturne. Seulement, il ne put dormir très longtemps car, comme le chien veillait sur Tim, allongé sur le tapis du salon, et que Léa préoccupée par la pesanteur de ses sacs, trébucha sur le chien, ses sacs tombèrent et déferlèrent les uns sur les autres! Léa était écrasée par tous les sacs. Avec l'énorme vacarme que fit la chute des provisions, Tim fut réveillé et sursauta, surpris. Il tendit sa main et tâtonna pour savoir ce qui l’avait réveillé si brutalement. Il tâtonna le visage vieux et ridé de Léa ainsi que les sacs. Léa prit soudainement la parole et dit:
- “Excuse-moi de t’avoir réveillé. Je suis tombée à cause de Filou qui m’a fait trébucher.
Filou grommela et Tim lui dit que ce n'était pas grave car il voulait justement faire un tour avec Filou. Léa lui dit que s’il ne rentrait pas avant 12h30, elle serait inquiète. Donc elle veut qu’il rentre tôt. Tim dit:
- Je te promets que grâce à Filou, je rentrerai à 12h30.
Quand les 12 coups sonneraient, ils s'apprêteraient à rentrer.
- Au fait, est-ce que tu as du pain?
- Non, je n’en ai pas acheté. Tu y vas. Tiens, je te donne la monnaie exacte.
- Merci, tu vois, pour la première fois, j’irais tout seul.”
Il appela Filou, qui accourut, et ils partirent à la découverte du monde nouveau. Le grand froid qu’il aime tant. Les cris des enfants…
Tim et Filou se baladèrent mais avant qu’il soit partis, Léa l’avait habillé avec des vêtements qu’elle avait achetés pendant qu’elle faisait ses courses.
Tim arriva devant la petite boulangerie, au coin de la rue, dans l’angle où se dressait un bel arbre que Tim aimait beaucoup car il est gros
Notes
[14]
Je ne sais pas si Oriane a trouvé ce nom par hasard ou si le village de “La Loubière” (et non Loubière sans particule) l’avait inspiré mais il se trouve qu’en plus du Jeune Garçon, Oriane a réutilisé ce nom de Loubière pour un autre texte plus court sans titre, avec des notes supplémentaires.
La bonne nouvelle
- “Bonjour! Une baguette pas trop cuite [15] s’il vous plait! dit-il, d’un air enthousiaste.
- Toute de suite! Ça fera 3,50 Fr. [16] Tenez!”
Il prit la baguette et commença à partir quand la vieille dame, aimable, l’interpella:
- Jeune homme, attends! Tu oublies de la monnaie!
- Euh merci, vous êtes bien trop aimable, dit-il, avec un grand sourire.
C’est alors que les douze coups de l’horloge de l'église [17] retentirent. C’est pourquoi il dit au chien de courir. Sur le chemin, il bouscula une personne [18]. Il était grand, maigre, grelottant, ses yeux glauques et louches, sa moustache retombant sur sa bouche édentée faisait songer à la face d’un noyé qui ruisselait sur une dalle.
- Oh vous pourriez faire attention quand même! C’est malin!
Il avait fait tomber des bouquins qu’il avait dû ramasser, ce qui avait donc dû l'énerver. Tim se sentait mal, gêné. Il savait que c'était un homme âgé, fragile, nerveux. Il avait l’air pressé. Tout ceci paraissait louche et suspect aux oreilles de Tim.
Cinq minutes plus tard, après que cet étrange homme soit parti, Tim tenta de se relever. Mais quand il s’appuya sur le sol à l’aide de sa main, pour se relever, il frôla quelque chose. C'était trop gros pour que ce soit un cailloux. Quand il la toucha, il su tout de suite ce que c'était. Il l’avait montré à son chien. Filou avait aboyé. Dès qu’il l’eut pris dans ses mains, le chien et Tim s'empressèrent de rentrer à la maison. Ce n'était pas parce qu’il était trop tard, mais cette chose qu’il avait prise si délicatement dans ses mains le préoccupait plus que tout autre chose. Quand il arriva chez Léa, Filou et lui montèrent en haut des escaliers, doucement [19], tout du moins, du mieux qu’il pouvait. Filou savait à quelle vitesse il fallait aller. Il savait dès la première fois qu’il avait vu Tim qu’il était aveugle. Léa avait pris ce chien car sa vue avait empiré et elle avait peur de devenir aveugle. Mais quelques ans plus tard, sa vue s'améliorait de jour en jour et elle mettait des lunettes.
Léa interpella Tim:
- Mais Tim, où vas-tu? Le dîner est prêt.
- Je n’ai pas le temps. Je t’expliquerai.
Léa ne chercha pas à comprendre. Elle l’attendit.
Tim entra dans sa chambre. Il l’avait choisi tout seul et elle lui convenait très bien. Il sentait l’air froid. C'était une vaste pièce au plafond bas qui devait être une chambre à coucher. On distinguait une table, de beaux et valeureux fauteuils, et une cheminée sur laquelle il y avait pleins de vases ou d’objets de valeur, même des armes anciennes. Au fond de la pièce, des rideaux pourpres tombaient, comme pour cacher une alcôve [20].
Tim avait pris un morceau de tissu qu’il déposa sur la table. il la prit et la posa délicatement sur le meuble. Elle se débâtait. Elle dépliait ses ailes. Tim avait ramassé une colombe. Elle souffrait. Tim s'était juré de la guérir et de prendre tout le temps qu’il faudrait. Léa lui apportait tous les jours son dîner, dans son atelier et chaque fois qu’elle lui demandait ce qu’il fabriquait, il lui disait que c'était magique et qu’il se sentait vivre comme les garçons du même âge. Alors Léa partait. Léa voulait absolument lui annoncer quelque chose de très important, mais Tim ne voulait pas. Il lui répondait:
- Léa, je suis désolé mais je n’ai pas le temps.
Léa voyait Tim faire des va-et-vient, des allers-retours, dans la cuisine, dans la salle de bain. Trois jours plus tard, Léa en eut marre. Très curieuse, elle désirait depuis longtemps savoir ce que faisait Tim dans sa chambre. C’est pourquoi un matin où elle venait de recevoir une lettre qui animait sa joie, et donc qu’elle voulait absolument lire à Tim, elle entra d’un coup sans hésiter dans sa chambre. Il disait au revoir à sa colombe qu’il avait appelée “Free”, ce qui veut dire libre. Il l’avait guérie et pour lui, c'était un miracle pour aveugle. Filou l’avait aidé, et Tim l’adorait. Léa s’en doutait que Tim et Filou allaient être de supers bons amis. Léa sut enfin ce qui se passait. Elle ne s’en doutait pas du tout qu’il était en train de soigner une colombe. Au plus profond d’elle, elle était fière, fière de lui. Tim représentait beaucoup pour Léa. Ça ne faisait pas longtemps qu’ils se connaissaient et pourtant Léa le considérait déjà comme son fils. Elle aurait tellement aimer avoir un enfant. A l'âge de 26 ans, Léa avait eu un enfant. Cet enfant est mort à quatre ans. Son père l’avait tué pour une raison inconnue, c’est pourquoi Léa l’a quitté. Elle s’en était voulu toute sa vie, jusqu'à l'âge de 43 ans où elle avait décidé de recommencer à zéro, et qu’elle ne donnerait plus jamais naissance à un bébé. Mais depuis que Filou était là, elle se sentait mieux. Elle n’avait pas oublié son enfant. Elle lui avait seulement gardé une place au fond de son coeur et il resterait gravé dans sa mémoire à tout jamais. Quand Filou l’avait ramené, elle avait commencé par pleurer. Elle n’en voulait pas. Mais quand elle a vu ses égratignures, le sang couler sur son visage, elle s'était dit qu’elle allait tenter de sauver une vie. Elle voulait se rattraper. C’est pourquoi, elle tenait tant à Tim, et pourquoi elle le considérait comme son fils.
- Tim!? dit-elle d’un air joyeux.
- Hein, quoi? qu’est-ce que c’est?
- T'inquiète pas, c’est moi, reprit-elle.
- Je t’avais dit ne pas entrer. Que fais-tu là? dit-il surpris.
- Je sais ce que tu as fait pendant tout ce temps-là, répliqua-t-elle.
- Je suis désolée, mais cette colombe…
- Je ne t’en veux pas, lui rétorqua-t-elle en lui coupant la parole.
- C’est vrai, tu ne m’en veux pas?
- Tu as voulu sauver une colombe, je trouve ça formidable.
- Ah bon, pourquoi?
- Tu es aveugle et secourir un oiseau si beau quand on ne voit pas, c’est extraordinaire. Bon, maintenant, allons manger!
Tim s’empressa de l’embrasser, de la serrer fort contre lui. Puis, il descendit les escaliers, et alla s’installer à la table pour déguster le copieux repas [21] qu’avait préparer Léa. Léa, elle, partit à la cuisine pour chercher la nourriture. Quand elle revint, Tim était assis, avec un grand sourire, comme pour remercier quelqu’un. Léa, aussi était joyeuse. Elle semblait vouloir lui annoncer une très bonne nouvelle. C’est ce qu’elle fit peu de temps après avoir servi le poulet marengo [22], une recette que lui avait appris sa grand-mère quand elle eut l'âge de 8 ans.
- Tim! lui dit-elle, il faut que je t’apprenne une nouvelle très importante pour laquelle tu prendras la décision toi-même.
Tim regardait sans la voir, la table, en écoutant attentivement Léa. Il paraissait effrayé car jamais de toute sa vie, il n’avait pris lui-même de décision venant de la part d’un adulte [23].
- J’ai discuté avec un professeur, un ami. Il travaille en tant que professeur de français dans un lycée, et je lui ai parlé de toi...
Un silence régnait dans la salle à manger quand elle reprit la parole:
- Je lui ai dit que tu étais aveugle et que ton rêve le plus cher était d’aller à l'école… et il m’a dit, avec enthousiasme, que si ça te plaisait, il serait fier, content que tu te cultives en la présence d’autres élèves sans lacune! Alors j’estime que c’est à toi de décider de cette proposition extraordinaire.
Tim, soudain, se leva brusquement puis embrassa encore une fois son amie tant aimée, en lui disant simplement:
- Oui, ce serait formidable!
Tim se rassit puis mangea sa viande, avec un appétit d’ogre quand, quelque temps plus tard, il dit:
- Mais je n’y arriverai jamais tout seul. Je pourrai pas faire mes devoirs, et je ne serai pas au même niveau. Je pourrai apprendre mes leçons.
- Je sais bien. C’est pourquoi, ton professeur et moi nous sommes proposés pour t’aider: tu resteras 2h de plus que tous les autres élèves pour qu’on t’explique plus clairement les choses que tu n’as pas bien comprises.
- Merci, vous êtes…. vous êtes fantastiques! J’adorerai aller à l'école des enfants de mon âge, normaux. Je te promets que je ferai de mon mieux!
Notes
[15]
Cette réplique est amusante car c’est exactement ce que maman nous avait appris à demander. A se demander si on comprenait le sens de “pas trop cuite” ou si on sortait ça comme un truc bien mémorisé, bien rodé.
[16]
Et oui, n’oublions pas que nous n’avons pas toujours vécu avec l’euro.
[17]
Nous avons grandi de 1993 à sa mort dans le centre de Ste Foy-lès-Lyon et il se trouve que l'église est à deux pas de la boulangerie, et les cloches sonnaient toujours un coup pour “et quart”, deux coups pour la demi, trois coups pour “trois quarts”, et enfin quatre coups pour l’heure pile suivis d’autant de coups que nécessaire pour indiquer l’heure exacte. On pouvait l’entendre de nos chambres.
[18]
Je ne sais pas combien de fois Oriane a bousculé quelqu’un sans le vouloir pour ensuite s’excuser d’un grand sourire confus. En plus des bousculades et des baies vitrées, il lui arrivait de croiser des gens qu’elle connaissait mais ne reconnaissait pas sans ses lunettes et elle avait alors pris l’habitude de rendre le bonjour ou le sourire de quiconque lui adressait la parole, prétendant les connaître, au cas où justement elle ne voyait pas suffisamment bien, pour ne pas les vexer de ne pas les reconnaître!
[19]
Le pas d’Oriane dans les escaliers n'était pas toujours le plus discret, et de manière générale, il fallait toujours faire “doucement”: parler doucement, chahuter doucement, courir doucement, faire doucement...
[20]
Pour le coup, ce serait un mélange de sa chambre au plafond bas et de l’appartement dans lequel Papa et Catherine vivaient alors, appartement ancien avec cheminée et alcôve… des rideaux lourds en velours aussi au début, mais aux fenêtres, pas devant l'alcôve.


Illustration dessinée par Oriane, au milieu de ce chapitre "Une bonne nouvelle".
[21]
Ce mot-clé démoniaque était déjà présent dans son vocabulaire, comme si tous les repas, par définition, étaient copieux. Allez savoir si nous en comprenions vraiment le sens.
[22]
Je ne sais pas si c’est une recette qui lui vient de notre grand-mère, mais c’est certainement une recette que maman préparait de temps en temps.
[23]
Nous n’en avons jamais vraiment discuté alors je ne sais pas si Oriane ressentait les choses comme Tim, mais il est vrai que nous étions bien protégées et que les prises de décision, ou du moins d’initiatives ne faisaient pas vraiment partie de notre quotidien.
A l'école
Il était 8h02, un jeudi de printemps. C'était un beau ciel bleu et un soleil magnifique qui causait la joie des lycéens dont ne faisait pas parti Tim. Tim, lui, doit déjà être en classe pour que son professeur lui explique la leçon, avant que tout le monde ne soit au courant. Il y avait une foule de personnes, de collégiens, d'étudiants. Il y avait des petits groupes de personnes éparpillés dans la cours, ou d’autres jeunes qui jouaient au basket comme des vrais professionnels. Tim, le visage vaniteux, joyeux, avec un léger sourire au coin des lèvres, se tenait droit sur sa chaise comme les professeurs spéciaux, les précepteurs le lui avaient appris. Il écoutait avant que sonne l’alarme, attentivement, les avant-cours de M. Bluemind, son nouveau et vrai prof de français qu’il aimait déjà. Dring! La sonnerie retentit et le brouhaha commença, les multiples chaussures applaudissaient sur le sol. M. Bluemind l’avait prevenu qu’il ne serait pas tout seul, à une table. Mais Tim ne s'était pas douté que ce serait la charmante compagnie d’une jeune fille dont parlait l’enseignant. Enfin, Tim ne fut pas désagréablement surpris, au contraire!
- Silence, dit soudain l’enseignant, nous avons, comme je vous l’avais dit, un nouvel élève qui est pour nous une joie.
La demoiselle qui se trouvait à coté de Tim se leva gracieusement, élégamment, puis dit d’une voix douce et calme:
- Je vous promets de l’aider jusqu'à la fin de l'année!
- Merci Mlle Stickermind, c’est très généreux de votre part, je vous pris de vous rasseoir.
Le professeur commença son cours et écrit la date au tableau tandis que l'étudiante se mit à lui parler:
- Bonjour, je m’appelle Célia Stickermind, je viens de la banlieue ouest du village. Et toi, comment t’appelles-tu?
- Je m’appelle Tim, lui répondit-il d’un ton grave.
- Dans peu de temps, je vais déménager près de Loubière, à coté du village car mes parents n’ont plus assez d’argent pour payer le loyer [24], dit-elle.
Tim l'écoutait silencieusement, sans l’interrompre. On aurait dit que tout ce qu’elle disait l'intéressait énormément.
De tous les cours de la journées, ceux qui lui plaisaient, c'était la biologie et le sport. Ces deux heures qu’il avait passées avec la jolie jeune fille, il les avaient adorées. La jeune demoiselle avait de longs cheveux blonds-chatains ondulés, la peau très matte, tendre, de belles et grandes dents blanches, de magnifiques yeux bleu-verts. Elle était assez petite. Elle était douce, aimable, et pas maniérée. Elle était élégamment vêtue et coiffée avec soin. Ses yeux brillaient d'émotion quand elle lui parlait.
Quand la fin des cours sonna vers midi et demi, les enfants avaient fini les cours; tout le monde sortait pour rentrer chez soi. La large cours s'était emplie d’une foule. D'innombrables sandales claquaient sur le pavé, des lambeaux de conversation et des rires dominaient de temps à autre, puis la rumeur des voix. Des mendiants agenouillés au bord de la chaussée demandaient l'aumône aux passant indifférents. Tim et Célia s'arrêtèrent devant l’un d’eux.
- Pauvres mendiants, dit-elle, dommage que je n’aie pas de pièces.
- Qu’est-ce qu’il se passe? demanda Tim étonné.
- De pauvres gens demandent l'aumône mais je n’ai rien a leur donner.
- Il faut leur donner de l’argent?
- Tu n’es pas obligé mais c’est une bonne action si tu leur en donnes.
- Dis-moi, comment sont-ils?
- Il sont assis sur le trottoir avec leurs manteaux vieux déchirés, leurs longues barbes drues, sales, et leur cheveux emmêlés, leurs grosses et vieilles chaussures, tendant leurs mains, demandant quelques pièces pour vivre, avec leurs yeux noirs luisant, nous suppliant, et des cartons déposés sur leur genoux, écrits au feutre “une pièce S.V.P.”.
- Oh les pauvres! dit-il en sortant un billet de sa poche, donne-leur ça!
- Oh mais Tim, tu es fou et trop gentil…
Et elle donna au mendiant le billet de 200 Fr. que lui avait remis Tim.
- Le mendiant te remercie de tout son coeur. Il a les larmes aux yeux et un sourire se crée sur son visage, dit Célia.
- Tu es bien brave, jeune garçon, je te remercie du fond du coeur. Tu es le seul qui ne soit pas indiffèrent à mon égard. Je te promets de faire bon usage de ce propre argent. Je te revaudrai ça, je te le jure.
Tim lui prit les mains et ajouta:
- Je reviendrai te voir en t’apportant de la vraie nourriture que m’a fait Léa pour mon goûter, tu es d’accord?
Pendant que lui parlait l’enfant, le mendiant serrait très fort les mains de l'écolier et il lui rétorqua:
- Merci, tu es mon ami dorénavant. Moi, je suis sûr que tu es le messager de Dieu, je ne peux pas me tromper. Je te promets de faire des efforts comme trouver un métier, je te le jure! s’exclama-t-il avec une voix tremblante. Il pleurait. Ses larmes ne pouvaient s'empêcher de couler. Tim reprit:
- Pourquoi pleures-tu? Je ne comprends pas. J’ai fait quelque chose?
Tim lui touchait, avec sa main, les yeux. Il sentait l'humidité et il entendait sa voix grelottante.
- Non, tu n’as rien fait de mal. Je suis juste ému par ton geste. Je pleure de joie!
La jeune fille, elle, le regardait avec la larme à l’oeil. Elle était émue, touchée, émerveillée par les paroles d'amitié que prononçait Tim. Tim se releva puis dit simplement:
- Je reviendrai.
Les 2 adolescents ne laissèrent que leurs pensées puis disparaissaient dans la foule.
Ils s'arrêtèrent devant une maison vieillotte aux minuscules fenêtres après avoir suivi une longue allée calme et ombragée. Ils entrèrent dans la maison puis se déchaussèrent, enlevèrent leurs manteaux. La jeune fille alla les ranger soigneusement à l'intérieur d’un placard [25]. Elle dit:
- Viens, on va dans la cuisine!
Dans la cuisine, une grosse négresse [26] préparait le déjeuner de la famille. Lorsqu’elle entendit les enfants, elle passa la tête à l’angle du mur et leur fit un large sourire.
- Déjà manger! Trop tôt, pas maintenant, dans la chambre! dit-elle en gloussant de rire.
La chambre de Mlle Stickermind était une pièce sans fenêtre, qui n'était éclairée que par une imposte au-dessus de la porte [27]. Un chat dormait sur le lit. La jeune fille lui dit de s’asseoir et qu’il fallait réviser, quand soudain, elle voulut lui poser une question, mais elle restait indécise. Elle n’osait pas la lui poser. Elle semblait avoir peur de le vexer. Le gamin lui dit:
- Qu’est-ce qu’il se passe? Tu ne veux pas réviser? Pourquoi ne sors-tu pas tes cahiers? Je n’entends pas le bruit des pages.
- Tim, je peux te poser une question indiscrète, rétorqua-t-elle aussitôt?
- Ça dépend… à propos de quoi?
- De ta lacune, dit-elle avec un léger bégaiement dans la voix.
- Euh, je sais pas. Tu sais mon handicap me fait souffrir, et parfois, je me vexe facilement, répondit-il avec un sourire apaisé.
- Comment… es-tu devenu aveugle? dit-elle en espaçant chaque mot d’un maigre silence.
Tim pencha sa tête vers le sol, entre ses genoux, réfléchit un long moment, puis il dit d’un air sévère, triste, fautif:
- J’avais 5 ans. C'était le 14 octobre 1971. J'étais avec Marie, ma meilleure amie, une gouvernante très serviable et très gentille. Je l’avais supplié de faire un tour de 50 min, le temps que mes parents rentrent d’un séjour chez des amis. Je voulais avoir une idée de ce qu'était la montagne, la nature. Je voulais connaître. Je portais des lunettes à cette époque [28], ma vue était très faible mais je supportais pas de les avoir sur le nez. Marie avait fini par accepter car elle aussi rêvait un mini-séjour montagnard. C'était vers 10h du matin, tout était prêt. Marie avait préparé un simple pique-nique. Quand nous sommes arrivés au sommet de la montagne, il faisait beau, un ciel bleu nous envahissait, ce qui bien sur ne me déplût pas. Pendant que Marie, inattentive à mon égard, installait le pique-nique sur une nappe quadrillée rouge et blanche, je regardais sans interruption le soleil. Je ne pouvais m'empêcher de le regarder. Je l’ai admiré pendant une demi-heure car après, je voyais de moins en moins bien, ma vue se rétrécissait. Soudain, Marie me dit: “Mais qu’as-tu fait à tes yeux?” Ils étaient rouges, gonflés, et moi, je n’y voyais pratiquement plus. Le beau ciel que j’avais vu il y a une heure était devenu sombre. Tout était flou et morne. Plus rien ne ressemblait aux beaux jours que j’avais vus quelques heures auparavant. Je criais très fort. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je cachais mes yeux qui me faisaient mal. Je tournais en rond. J’avais peur. Tout avait été si soudain. Je pleurais. Marie, elle, s'inquiétait. Elle me parlait mais je ne voulais rien entendre. J'étais tourmenté, si tourmenté que je me roulais par terre. Je pensais que ça s'arrêterait…
Soudain, Célia prit les mains de Tim puis elle lui demanda de s'arrêter car elle voyait qu’il souffrait. Des larmes coulaient.
Notes
[24]
Je ne sais pas si Oriane était déjà tracassée par les soucis financiers évidents des parents mais, plus tard, il est certain qu’elle était angoissée de représenter une charge financière pendant sa maladie.
[25]
Influence maternelle? Possible. Se déchausser en entrant est une des règles de la maison. Notre maison comporte également un placard ou ranger les manteaux. Quant à le faire soigneusement, c’est une autre histoire, le problème étant déjà d’y trouver un cintre et une place. Idéalement les chaussures devraient aussi s’y nicher mais avec le temps, ceci s’est avéré peine perdue.
[26]
Oriane n'était pas du genre raciste. Je suis surprise du choix de ses mots.
[27]
Je ne sais pas ce qui a inspiré Oriane: nos chambres étant des pièces aménagées dans ce qui était à l’origine un grenier, n’avaient pas de fenêtre. La chambre d’Oriane ainsi que celle de Séverine, avaient toutefois un oeil de boeuf et maman avait fait installer un vasistas dans chaque chambre. Cependant, chez Papa, au cours Vitton, toutes les pièces avaient de vraies fenêtres mais chaque porte séparant une pièce du hall d'entrée avait également une imposte.
[28]
Oriane portait des lunettes et n’aimait pas les avoir sur le nez à longueur de journée. Elle savait qu’au minimum, il les lui fallait pour regarder la télévision, mais même là, si elle ne se sentait pas fatiguée, elle évitait.
Les amis...
- Tim, il est temps de rentrer chez toi, sinon ta maman va s'inquiéter, dit Célia.
- Célia, il faut que je te dise quelque chose. Cet hiver, je sais plus vers quel mois, je me suis enfuit de ma maison.
- Mais… tu es abandonné? et puis comment t’as fait pour t’enfuir si tu es aveugle? rétorqua-t-elle d’un air surpris.
Tim lui raconta son histoire de long en large. Pour Célia, chaque détail de son histoire la passionnait.
- Quel garçon courageux tu fais! Et Léa doit être une dame très gentille, reprit Célia.
- Tu sais, je crois que Léa ressemble énormément à Marie. Tu sais, je pense souvent à Marie et elle me manque beaucoup, lui répondit-il , triste.
- Je te comprends! Tu vois, moi aussi, j’avais une amie, lui confia-t-elle. Elle s’appelait Sarah. Elle avait mon âge, un peu plus vieille peut-être. Elle était si maligne, si gentille. Elle n’avait qu’un seul défaut. Elle était aveugle. Jamais elle n’avait accepté de m’en parler. Elle m’avait juste dit comment elle l'était devenue. Elle ne voulait pas m’en dire davantage car son handicap la gênait plus que tout. Elle me rappelle un peu toi...
Tim reprit la parole:
- Pourquoi parles-tu d’elle ainsi? Que lui est-il arrivé?
Célia se mit à réfléchir, gémit un coup puis dit d’un air grave:
- Sarah s’est… suicidée car sa gouvernante la harcelait. Elle voulait tout savoir… Sarah m’avait dit que la gouvernante l'agressait. Elle m’en parlait peu mais assez pour que je sache qu’elle souffrait. Je me souviens d’une phrase. Elle m’avait dit un jour: “Pourquoi suis-je aveugle, qu’ai-je fait?”
- Jamais, jamais, je ne me suiciderai moi [29], je te le jure, répliqua Tim.
- Je l'espère, dit-elle la larme à l’oeil!
- Célia, ne pleure plus! Rentrons à la maison chez Léa, lui dit Tim en la réconfortant.
C’est ainsi que partirent les deux inséparables, quittèrent la vieille demeure, et disparurent dans l’ombre du village.
- Bonjour Léa! Comment vas-tu? dit Tim
- Bonjour, tu m’as l’air bien heureux! Que s’est-il passé? rétorqua Léa.
- Je suis content car j’ai une amie comme tous les étudiants de mon âge. Néanmoins, elle est beaucoup plus gentille.
- Déjà! Tu t’es déjà fait une amie alors que tu n’en es qu’à ton premier jour d'école! Je suis fière de toi, reprit-elle.
Tim la serra très fort contre lui tandis que les mains de Léa, salies par du chocolat essayaient de ne pas frotter le beau sweat-shirt que Léa lui avait offert.
Célia, elle, attendait patiemment sur le pas de la porte. Elle admirait la simple et chaleureuse demeure où habitaient les deux personnages. Elle regardait les meubles. Chaque mobilier était fait de bois de pin massif, soigneusement verni. En suivant le mini-couloir, elle allait se trouver dans un salon, nez à nez avec une cheminée. Chaque pas qu’elle faisait, le plancher qui était du parquet craquait. La jeune fille admirait l’ambiance sympathique que nous donnait comme impression la décoration.
- Célia! cria Tim soudainement.
Surprise, Célia sursauta, se retourna et partit rejoindre Tim.
- Que se passe-t-il donc? répliqua Célia.
- Je te présente Léa! lui répondit-il joyeusement.
Célia fit la bise à Léa. En la voyant émue, elle lui dit que d'après les histoires que lui avait racontées Tim, elle lui plaisait déjà!
Mais surprise, elle regarda autour d’elle, avec ses grands yeux bleus, brillants, et lui demanda ou était Filou.
- Ouah, il t’en a raconté des choses, Tim. Pourtant, ce n’est que le premier jour que vous vous connaissez, lui rétorqua Léa en ajoutant que Filou était dans la chambre, en train de dormir.
Les deux enfants s’assirent sur une chaise en bois autour d’une table, fabriquée dans la même matière que la chaise. Tim reprit la parole:
- Au fait, qu’as-tu fait pendant cette longue journée?
Léa, embêtée, n’osant pas lui avouer pour ne pas l'inquiéter qu’elle était allée voir le médecin, car depuis quelque temps, elle avait des étourdissements, des vertiges [30], lui répondit qu’elle était allée faire les courses pour préparer un bon gâteau au chocolat. En effet, celle-ci avait bel et bien fait un gâteau, mais elle n’avait pas fait les courses pour la simple et bonne raison qu’elle avait rempli le frigo après qu’elle a parlé à M. Bluemind, l’ami de Léa et nouveau professeur de Tim.
Malgré tout, Tim ne s’en était pas aperçu (que le frigo était plein) car il n’avait rien senti de bon ou mauvais à manger avant d’aller à l'école. Tim et Célia racontèrent à Léa la longue journée qu’ils avaient passée ensemble.
Vers 9h, comme tous les jours, Léa avait eu quelques étourdissements suivis de vertiges. Elle s'était évanouie à plusieurs reprises. C’est pourquoi, par précaution, elle était partie de chez elle en bus, pour voir le docteur. Celle-ci lui raconta les problèmes qu’elle avait depuis environ deux mois. Malheureusement, ce dernier ne put la réconforter, bien au contraire. Il lui avait suggéré une hypothèse: Léa avait une tumeur cérébrale, une maladie très grave qui ne pouvait se guérir. Ce n'était qu’une hypothèse. Le médecin lui avait demandé de faire attention à elle sinon elle
risquerait de mourir vite. Ce que ne savait pas le spécialiste était que la dame avait cette maladie depuis un bout de temps. Mais Léa, très positive, très optimiste, pensait que quelque soit le moyen qu’elle utiliserait, elle s’en sortirait. C’est pourquoi elle ne fit pas part de sa véritable journée.
Célia aimait beaucoup Léa et c'était réciproque pour Léa. Elle proposa à Célia de rester à la maison pour ce repas, et elle téléphona à la famille pour les informer de son absence lors du dîner. Ce fut la négresse qui répondit en lui disant que ce n'était pas grave car les parents n'étaient toujours pas là et ce fut autour d’une table cirée, où Célia avait admiré la décoration, dans le salon, qu’ils se régalèrent, auprès d’un bon petit feu de bois et une ambiance chaleureuse. Léa, Tim, et Célia étaient heureux. Ils étaient tous ensemble. On aurait eu l’impression qu’ils fondaient une famille, qu’ils se connaissaient depuis toujours, tellement ils s’amusaient réellement. Ils tenaient à chacun d’eux.
- Célia? On y va, il se fait tard! Tes parents vont s'inquiéter, dit-il raisonnablement et gentiment.
Léa se sentait faible et elle leur dit d’y aller seuls, avec Filou car elle était trop fatiguée pour conduire. Aussitôt, les deux enfants partirent avec le chien tandis que Léa alla se coucher. Mais elle les avait bien prévenus de faire attention.
Un aboiement suivi d’un grincement de porte prévinrent l'arrivée de Filou et Tim. Ils essayèrent de ne pas trop faire de bruits pour ne pas réveiller Léa. Tim monta en haut, dans sa chambre avec Filou car il n’aimait pas dormir tout seul car si quelque chose arrivait, il ne pouvait pas le voir. Tout le long de la nuit, le jeune garçon fit des cauchemars.
Le lendemain matin, celui-ci se réveilla rapidement, en sursaut, à la suite d’un nouveau cauchemar. Il sentait que quelque chose n’allait pas. C'était étrange comme sensation. Il pensa tout de suite à Léa. Il appela Filou et il lui parla. Il savait que le chien l'écoutait, c’est pourquoi il demanda pourquoi elle n'était toujours pas réveillée. Avait-elle oublié qu’il allait à l'école? Impossible! Il se précipita dans la chambre de Léa en demandant à Filou de l’accompagner. Mais, quand ils arrivèrent dans la pièce, Léa était allongée sur le lit, ne bougeait pas. Les yeux fermés, la bouche béate. Tim s’empressa d’embrasser son amie qu’il aimait tant. Il comprit tout de suite ce qu’il se passa. Elle était morte sous son nez. Il s’agenouilla auprès d’elle, lui pris la main. Il se souvint soudain de la veille, la fatigue qu’elle avait, la pâleur du visage. Le garçon n’arrivait pas à y croire. Plus il y pensait, plus la tristesse l’envahissait. Comment n’avais-je pas pu m’en douter? se disait-il. Il était malheureux. Une douleur le pénétrait au niveau du ventre. Il éprouvait un sentiment de culpabilité. Il pleurait. Des larmes se succédèrent comme des gouttes de pluie. Il resta auprès d’elle toute la journée en se morfondant.
Soudain, quelqu’un frappa à la porte. Tim toujours aussi triste ne l’ouvrit pas. Mais cette personne l’ouvra et entra. Elle paraissait hésitante, timide, à son allure. Que ce soit un voleur, ou Célia, ou son professeur, Tim n’en avait plus rien à faire. Plus rien était important si ce n'était Léa. Tim se sentait coupable et très triste, renfrogné, mélancolique. Tim posa la tête sur le ventre de Léa, sanglotait. Quelqu’un (la personne qui venait d’entrer) avança puis s'arrêta sur le seuil de la chambre et regarda soigneusement Tim. C'était Célia. Elle lui dit doucement qu’elle n’aimait pas quand il était triste puis elle ajouta aussitôt, le questionnant; “Qu’est-ce qu’il se passe? Que fait Léa allongée? Pourquoi n’es-tu pas venu à l'école?” Tim baissa les yeux, puis il lui dit que Léa était morte. Célia accourrut et s’exclama que ça ne pouvait pas être possible. Aussi, elle se mit a pleurer comme l’avait fait Tim. Elle lui demanda si cela n’avait pas rapport avec la fatigue d’hier.
- Sans doute? lui répondit Tim en gémissant.
Soudain, Célia, l’interrogea:
- Mais comment vas-tu faire? Ou dormiras-tu? Tu es à présent abandonné [31].
- Je m’en fiche, plus tard, je verrai bien. Pour l’instant, je suis pas assez fort, assez gai, assez intéressé pour me questionner, affirma Tim.
- Je sais pas comment tu vas faire mais pour l’instant, tu vas t’installer chez moi, sinon des policiers ou des assistantes sociales vont te récupérer et on ne pourra plus jamais se revoir et je n’en ai aucune envie, car je…
- Et Léa? Tu n’y penses pas. Je ne veux pas la quitter, lui dit-il en lui coupant la parole.
- Écoute, si tu restes là à voir Léa, et bien tu partiras bien plus vite, car les assistantes sociales t'emmèneront. On ne se reverra plus et Léa non plus, ajouta Célia en pleurant.
- Tu as raison, je viens, reprit Tim en sanglots.
Notes
[29]
Je ne sais que penser de ce passage. Dans la peau de qui se voyait Oriane? A-t-elle eu une amie qui s’est suicidée? A-t-elle eu vent d’une agression? A-t-elle été agressée à cette période? Avait-elle déjà des idées noires?
[30]
Je ne sais plus si ça correspond à la même période, mais maman a souffert de vertiges, dû à un cristal déplacé dans l’oreille.
[31]
Apparemment, la mort et l’abandon étaient déjà des peurs chez Oriane, Je me demande juste ce qui les a causées.
Illustration dessinée par Oriane, à la fin de ce chapitre "Un lieu inconnu".
Chez Célia
Célia chercha dans plusieurs placards avant de trouver les affaires de Tim pour commencer à faire les bagages. Tim en attendant Célia, restait auprès de Léa. Soudain, Célia regarda le bureau de Léa puis elle dit à Tim:
- Eh Tim, s’exclama-t-elle
- Quoi? riposta Tim.
Quand Tim s’approcha du bureau, Célia lut une lettre qui avait été écrite par Léa.
“Tim, je te laisse cette lettre, et tu pourras la faire lire par Léa quand je serai morte. Si je meurs, tu te retrouveras tout seul, et tu seras abandonné. Sans doute que des policiers te rechercheront pour te mettre dans un orphelinat. Peut-être que Célia pourra t’emmener chez elle, mais quand elle n’aura plus ses parents, où serez-vous? Je veux pas qu’il vous arrive malheur, alors tu vas m'écouter! Je veux, si vous êtes tout seuls, que vous fuyiez la ville. Je t’ai laissé quelques sous pour prendre le train, toi et Célia. Puis, vous chercherez un endroit [32] pour vivre. J'espère que tu t’en sortiras, toi et ton amie que j'apprécie beaucoup.
Au revoir mon garçon.
Je t’aime
Léa”
Tim avait bien écouté, une larme glissa le long de sa joue. Il dit à Célia qu’il ferait ce qu’elle avait écrit, et si Célia était d’accord, ils fuiraient lorsqu’il arriverait malheur à ses parents. Célia éprouvait de la compassion envers Tim et elle l’aimait beaucoup, mais quelque chose la dérangeait, la tracassait…
Tim sentait l’ambiance tendue de ce qui se passait dans la chambre. Un silence de réflexion avait envahi la salle. C’est alors que Célia reprit la parole, suivi de quelques silences:
- Tim, tu sais, je pense qu’il ne vaut mieux pas rester chez moi trop longtemps, c’est pourquoi, j’approuve le besoin de fuguer avec toi...
Surpris, Tim reprit:
- Je ne comprends pas. Tu ne veux pas que l’on aille chez tes parents?
- Si nous allons chez mes parents, ça risque de provoquer des ennuis tels que tes questions à propos de ton arrivée, ce qui déclencherait les conséquences suivantes. Ils appelleraient une assistance sociale, ajouta-t-elle.
Celle-ci était prête à sacrifier sa vie familiale pour Tim. Elle tenait à Tim comme à la prunelle de ses yeux. Tim lui dit qu’il voulait absolument que Filou vienne avec lui. Il ne laisserait pas tomber. Tim et Célia qui avaient accepté la compagnie de Filou préparèrent leurs affaires pour un grand voyage, seuls.
Quelque part, les enfants étaient heureux. Ils se sentaient adultes; ils se sentaient responsables, et cette sensation leur était jusqu'à présent inconnue. lls étaient bien sur un peu angoissés mais ils étaient contents d'être ensemble et de s’assumer. Tim était, tout comme son amie, triste de quitter Léa et les parents. Mais il n’y avait pas que ça. Il y avait aussi cette inquiétude et cet ennui de quitter Mr. Bluemind qui leur avait appris pleins de choses, qui les avait aidés dans leurs démarches. Ils partirent avec leurs affaires, les sous, et la lettre qu’avait écrite Léa. Mais avant tout, Tim embrassa au plus profond de son coeur sa tendre amie, aux lèvres froides et au teint violet qu’il aimait tant, et il lui jura qu’il penserait à elle et qu’il ne l’oublierait jamais. Célia l’embrassa et lui murmura quelques mots à l’oreille. Puis ils partirent. Tim et Célia voulurent passer devant l'école.
Célia voulait y passer car elle désirait regarder l'école et par la même occasion parler à Mr. Bluemind juste pour le complimenter sans qu’il ne se doute de rien. Mais Tim, lui, avait d’autres raisons. Il voulait bien entendu parler à Mr. Bluemind, mais aussi il tenait absolument à parler à un ami qu’il avait aidé quand il était dans la détresse. C'était bien sur, le clochard à qui il avait juré de revenir le revoir. Seulement aujourd’hui, il n'était pas là, ce qui attristait à nouveau Tim, mais il garda un minimum de sourire pour ne pas gâcher cette journée qui s'avérait ensoleillée. Quand ils eurent fini de discuter avec leur instituteur, ils allèrent se renseigner à la gare pour les horaires. Pendant le trajet, Tim et Célia discutèrent de leur destination. Léa leur avait laissés une grosse part de sa fortune qui n'était que très petite, pratiquement misérable. Elle leur avaient donné 3 000 Fr. pour leur voyage et 10 000 Fr. pour se nourrir. Les deux enfants avaient décidé d’aller au Canada. Ils avaient décidé de partir au Canada car Léa leur avaient souvent parlé du Canada. Elle leur avaient dit que c'était un très beau pays où tout le monde était accueillant, aimable. A la vue de Léa, ce paysage avait parut splendide. Il parait qu’il y avait plein de villages chaleureux, bâtis de petits chalets en bois sur pilotis, munis de petits bâtonnets à environ un mètre du sol, joliment vêtus de fleurs, organisées de façon à ce que chaque couleur soit mise en valeur.
Au-dessus de chaque village, des collines vertes surplombaient avec de beaux arbres, mais aussi de belles rivières où circulaient de gracieux et nobles poissons. La nature harmonieuse où vivaient de glorieux animaux, dominait la sagesse. Ce paysage inoffensif, doux, calme, offrait aux canadiens une tranquillité, une harmonie que tout le monde respectait que personne n’oserait perturber, même pour tout l’or du monde. Chaque soirée, on pouvait voir ce magnifique coucher de soleil qui offrait à chaque habitant une vue splendide pour s’endormir même à la belle étoile [34]. C’est pourquoi, les deux inséparables avaient décidé de voyager et de jouer les touristes dans ce pays si charmant.
Mais avant tout, il fallait aller chez Célia pour prendre ses affaires. Aujourd’hui, ses parents n’étaient pas encore rentrés depuis que Tim l’avait raccompagnée, donc Célia pouvait prendre ses affaires en toute liberté, sans qu’ils se doutent de quoique ce soit. Tim, lui avait emporté un sac à dos et deux valises. Dans son sac à dos, il avait mis deux pommes qui restaient dans la corbeille à fruits, un nounours que lui avait offert Léa, et à qui il avait toujours confié ses secrets. Il avait aussi emmené la lettre et puis ses baskets qu’il avait eu bien du mal à faire rentrer dans ses bagages. Il avait décidé que pendant son séjour au Canada, il apprendrait le basket, comme un vrai professionnel. Dans ses valises, il avait emporté des gros pulls, des larges sweat, des grands pantalons, parfois en velours marrons, des shorts amples en cas de fortes températures, de grands tee-shirts, un peigne, une brosse et des chaussures de marque à la mode. Tous deux partirent chez Célia. La grosse négresse était partie faire des courses pour manger ce soir, et elle avait laissé un mot sur la porte: “Je suis partie faire des courses. Je reviendrai dans 2 heures. T'inquiète pas pour tes parents, ils seront bientôt de retour!” Tout cela était parfait car Célia pouvait prendre ses affaires sans que l’on puisse lui poser de questions. Elle prit plusieurs vêtements tels qu’une dizaine de jupes longues et si élégantes comme elle avait l’habitude de porter. D’ailleurs, celles-ci étaient démodées mais si coquettes, si distinguées, tellement gracieuses… Dommage que Tim ne puisse pas voir ces beaux habits car celui-ci admirait le charme de l'élégance chez une fille car lui, c’est un grand romantique… Elle avait aussi emmené de belles et longues robes un peu vétustes. Sans doute appartenaient-elles à sa mère quand elle avait le même âge. Elle avait soigneusement plié ses affaires sauf ses sous-vêtements qu’elle avait mis en boule, rapidement enfouie dans son sac. Dans une autre valise très petite, elle y avait déposé quelques produits pour se laver. Comme Tim, cette dernière avait emporté un sac à dos ou elle y avait mis quelques bricoles, du papier, des fruits et des gâteaux secs.
Pendant que Célia s'apprêtait, Tim se penchait sur le rebord du balcon de la pièce peu éclairée que par la lucarne.
- Ça y est, je suis prête. J’ai fini, dit-elle. Il faut que je dise au revoir à mon chat et on peut y aller. On restera la nuit dans la maison pour dormir, et on se réveillera vers 4h pour pouvoir aller à l'aéroport, s’exclama-t-elle en lui tenant les mains...
Notes
[32]
Oriane a écrit ce texte en 1997 et pourtant la maladie, la mort, l’abandon, la fuite, un endroit à soi, c'était déjà là. Laisser une lettre avant de mourir, bon c’est connu, mais il n'empêche, elle ne l’a pas laissée de côte pour son histoire.
[33]
Notre grand-mère paternelle Christiane Rolland nous parlait régulièrement du Canada où elle y retrouvaient des amis de longue date. Cependant, ce qu’Oriane décrit ici ressemble plus à Zermatt qu’au Canada, avec ses mazots décorés généralement de géraniums rouges, roses, ou blancs, très joli contraste avec la couleur ébène de ces chalets en bois surélevés par de petits piliers en bois avec des pièces d’ardoise horizontale, à mi-hauteur, pour empêcher la vermine d'accéder à l'intérieur.
[34]
Il se pourrait que notre expérience de camping avec les copains à La norma ait influencée Oriane. Belle experience avec saucisses grillées au feu de camp à bout de bâton, nuit les uns contre les autres à la belle étoile, apres s'être racontés des histoires d'horreur. Les garcons avaient d'ailleurs mis en action un scénario qui nous avait véritablement effrayés. Le lendemain matin, nous nous étions brossés les dents, débarbouillées a la cascade.

Illustration dessinée par Oriane, a la fin de ce chapitre "Chez Célia".
Le voyage...
Tim et Célia étaient prêts à partir. A 3h, Célia était déjà réveillée. Elle était toute excitée à l'idée d'être seule dans un monde nouveau. Elle était descendue pour préparer le déjeuner. La négresse dormait encore et ses parents n'étaient toujours pas rentrés. C’est pourquoi elle avait commencer à s'inquiéter, mais cette angoisse s'était vite dissimulée sous une excitation permanente d’aller au Canada, ce magnifique endroit de tranquillité. Néanmoins [35], Tim avait dormi longtemps. Il avait fait de très beaux rêves. Mais Célia, le sourire jusqu’aux oreilles, l’avait reveillé. Tous deux s'étaient donc levés vers 3h45 au lieu de 4h. Ils avaient vite déjeuné puis s'étaient lavés. Ils avaient rassemblé leurs bagages, vérifié qu’ils n’avaient rien oublié… tout ceci dans le silence pour ne pas avertir le chaperon qui dormait comme un loir.
Maintenant, ils venaient de franchir le seuil de la porte et allaient à l'aéroport pour cette nouvelle vie qui les attendait. Les deux adolescents avaient choisi le luxe de l’avion au lieu de la souillure, la repoussante décoration du train qui plaisait guère aux deux jeunes distingués. Sur le chemin, ils discutaient…
- Dis donc, où on va habiter au fait? s’exclama Tim.
- Je ne sais pas mais ça m’amuse cette vie qui va être pleine de suspens. J’ai déjà quelques petites idées où l’on pourrait se loger. Tu aimerais vivre où, toi? demanda Célia.
- J’aimerais vivre une aventure dans les bois. Au milieu, coulerait une rivière paisiblement, les arbres nous abriteraient quand il y aurait beaucoup de vent. Aussi, on consacrerait tous les deux une ou deux journées, le temps qu’il faudrait de notre vie hasardeuse, risquée, pour construire une plate-forme en bois, perchée dans un arbre, et il n’y aurait personne, ni d'échelle, mais une corde que l’on enlèverait lorsqu’on s’assoupirait pour que personne ne puisse nous dénoncer é l’assistante sociale. On laverait nos vêtements dans la rivière. On les ferait sécher sur… sans doute sur un étendage que l’on aurait confectionné à base de deux morceaux de bâton en futaie et une ficelle que l’on trouverait en fouinant, en farfouillant, en creusant, je ne sais où. Voila comment je perçois ma vie. Comme ça, on deviendra téméraire. On aura plus peur de rien. On sera ce dont j’ai toujours rêvé: deux aventuriers frivoles, jeunes et courageux, débrouillards et libres, comme deux colombes audacieuses...
Célia l'écoutait attentivement et rêvait, s’imaginait le paysage spectaculaire qui pourrait peut-être s’offrir à la vue des deux compagnons.
- Et toi, comment vois-tu la vie? reprit Tim, distrait, pensif...
La jeune fille, après un silence méditatif, ajouta:
- Moi, mon rêve au Canada serait de découvrir un endroit tranquille et abandonné, clair et joyeux, agréable et ravissant, ombragé par de grands et majestueux arbres, illuminé par un soleil élevé, impressionnant, brillant, culminant le site perché sur la vallée verte, évacuée. De cet endroit, on pourrait y apercevoir le coucher de l'éminent et fameux, glorieux et magistral, soleil. Aussi, nous y verrions les quelques chalets de la ville remuante, mais sage et modeste lorsque s’impose le soir. Il y aurait une quantité innombrable d’oiseaux qui chanteraient au crépuscule pour que l’on puisse sommeiller sans se réveiller brutalement, sans que l’on puisse faire des cauchemars, puis à l’aube, ils joueraient une mélodie attrayante, captivante, envoûtante, pour que l’on soit apte à être de bonne humeur, sans se chamailler, sans se crier dessus, sans faire la tête...
Quand Célia racontait ça, tout semblait si réel qu’ils avaient failli manquer l’avion. Mais à 5 min près, ils étaient montés dans le bel avion, prêt à vivre une toute nouvelle vie dangereuse, risquée, mais heureuse. L’avion était grand, spacieux. De confortables sièges accueillaient les nombreuses personnes souriantes.
- Tu sais, si on trouve un endroit tel que celui que tu viens de décrire, je te promets qu’on y logera. Si ce lieu existe, il doit être fantastiquement magnifique. Ce soleil serait si beau, ces oiseaux si charmants, cette eau si…, cette lumière chatoyante, ça doit être vraiment somptueux, fastueux. Mais tout cela, je ne le verrai jamais, et cela m’attriste autant, déclara Tim avec affliction et souffrance.
Mais Célia reprit pour lui rendre le moral:
- Mais voyons, tout cela, tu peux te l’imaginer, en rêver, et faire comme si tu y étais. De plus, tu pourras entendre le ruissellement paisible et flegmatique de la rivière. Aussi, le chant envoûtant, pacifique, placide, charmant des oiseaux, avec un fond de musique de voitures circulant à gauche et à droite dans la ville active.
- Tu as peut-être raison, s’exclama Tim, pensif.
Soudain, une voix venant de nulle part fit sursauter Tim, et anima une joie et des lambeaux de conversation de la part des passagers. C'était la voix d’une jeune femme qui devait être dans la pièce du pilote. C'était une hôtesse de l’air qui annonçait aimablement:
“Bonsoir à tous les passagers et les passagères de cet avion. Nous vous souhaitons la bienvenue à bord de l'agréable transport. Nous allons bientôt décoller, c’est pourquoi nous vous prions d’attacher vos ceintures, et de vous asseoir confortablement. L'équipage vous remercie de votre compréhension et vous souhaite bon voyage. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, l'équipage vous prie de vous adresser aux hôtesses de l’air qui se trouvent à bord.”
Bien que Célia fut excitée et rêveuse, Tim était très fatigué, et c’est pourquoi il dormit environ 5h, c’est à dire un tiers du voyage. Quand il se réveilla, Célia n'était plus là. Elle était partie aux toilettes, mais ceci ne le perturba pas une seule seconde puisqu’elle revint à peine 5 min après qu’il s’est réveillé. Dès qu’elle s’assit, au lieu de lui demander où elle était passée, il lui dit:
- Célia, il faut que je te raconte mon rêve.
- Bien sûr, reprit Célia, je t'écoute.
- Comme maintenant, j'étais dans un avion, avec toi et Léa. Il était 7h36 [36], nous allions en Allemagne à Köln [37] pour des vacances paisibles en famille. De plus, je n'étais plus aveugle, c'était magnifique. J’avais retrouvé la vue. Puis, pendant un moment, je ne me souviens plus, le trou noir, mais après, je n’ai pas compris, nous avons sauté tous les trois par les hublots qui se trouvent à coté de nous car la dame, enfin, l'hôtesse, avait déclaré: “Les touristes du vol 317 pour Köln sont priés de descendre par les hublots situés à côté de vous. Appuyez sur le bouton au-dessous du siège où vous êtes assis.” Alors, c’est ce que nous avons fait avec un grand sourire aux lèvres. Nous avons atterri dans une ville de nuages. Je sais que ça doit te paraître enfantin, tout du moins, pour des enfants de 13 ans et demi, mais pourtant, je suis persuadé que même des enfants de 2 ou 7 ans n’auraient pu comprendre un tel rêve.
- J’en suis certaine, interrompit Célia, passionnée par l’histoire curieuse de Tim. Puis Tim poursuivit:
- Léa nous avait proposé de manger au restaurant étant donné que nous n’avions rien préparé. C'était 11h53. Il était tôt pour manger mais dans ce rêve, c'était tout à fait normal. Le menu: étrange!
Tim sortit soudain un papier pour lui montrer comment était présentée cette carte. Il prit un stylo et lui dessina la carte. Mais parfois, il y avait des trous car il ne s’en souvenait pas totalement.
Tim dessinait et écrivait comme il n’avait jamais écrit. Tout allait vite, tout glissait. Puis Tim reprit:
- Ce menu ne m’a guère plu. C’est pourquoi je suis allé aux toilettes, je me suis regardé dans la glace et je me suis réveillé.
- As-tu eu le temps de te voir dans la glace?
- J'étais tout flou, dit-il songeux.
Puis Célia s’exclama:
- C’est un présage!
Tim fut content. Il comprit ce que dit Célia.
- Tu sais, j’ai aussi fait plein d’autres petits rêves mais sans aucune importance.
Soudain, une hôtesse de l’air annonça:
“Bonjour à tous! C’est l’heure de déjeuner. Depuis que nous sommes partis, il vient de s'écouler 6 heures. Les touristes qui désirent manger sont priés de choisir leur menu grâce aux cartes entre vos sièges. L'équipage se charge de tout. Merci de votre compréhension et bon voyage!”
Célia lut le menu, puis le lut à Tim en lui disant qu’elle prenait le menu du jour car c'était ce qu’il y avait de meilleur étant donné qu’il y avait très peu de choix… C’est ainsi qu’ils prirent tous deux, une entrée, c’est à dire, une salade garnie par la maison, un plat chaud de moules frites. Tim n’arrive malheureusement jamais à décortiquer ses moules, c’est pourquoi il a promis de les donner à son amie. Puis, en dessert, ils optèrent pour la mousse au chocolat royale… Quand ils arrivèrent à la fin du repas, Célia fut surprise par la présentation splendide de la mousse. La mousse au chocolat était déposée dans une coupe en cristal avec des granules de sucre coloré parsemés sur le dessert, et un parapluie miniature y avait été enfoncé. Pour Célia, c'était simple mais joli. Elle avait décrit la décoration de cette mousse et Tim fut content. Un léger sourire aux coins de ses lèvres animait sa joie, ainsi que ses yeux pétillants et clairs. D’ailleurs, il garda le petit parapluie. Pour lui s'annonçait une bonne journée. Depuis qu’il avait dormi, qu’il avait fait ce rêve, depuis que le voyage pour le Canada avait commencé, et allait s’achever dans peu de temps, il était heureux.
Le temps passa.
Les jeunes allaient descendre de l’avion…
Notes
[35]
Oriane (moi aussi d’ailleurs) avait bien retenu l’expression de Papa: “néanmoins [nez-en-moins], les oreilles en plus” qu’elle disait comme un réflexe, par habitude, mais avait heureusement réussi à garder pour elle en écrivant cette histoire!
[36]
Cette précision de l’heure (surtout venant d’un rêve) est assez ironique car plus tard, Oriane et Séverine passaient leur temps à se moquer de mon soucis du détail jusque dans l’heure. J'étais la miss Analyse.
[37]
Oriane est allée en Allemagne avec Papa, je pense à peu près à cette période. Ce fut d’ailleurs sûrement à cette occasion qu’elle eut sa première expérience dans un avion.

Illustration imaginée par Oriane, dans ce chapitre "Le Voyage...".
Au Canada [38]
Notes
[38]
Oriane avait l’intention d'écrire un chapitre additionnel mais le cahier s'arrête là.